«LE STRESS RESTE LARGEMENT TABOU»

Lisa Yahia-Cherif

Publié il y a 4 semaines

06.02.2025

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Trouble courant, le stress n'est pas toujours pris au sérieux. Or, il est capital de s'en occuper.

Toujours plus de personnes sont stressées au travail, d’après une enquête menée par l’Office fédéral de la statistique. Aujourd’hui 23% des personnes interrogées sont concernées, ce qui représente une augmentation de 5% sur ces dix dernières années. Or, les conditions de travail jouent un rôle majeur dans la santé des personnes. Pourtant, ce trouble n’est pas toujours pris au sérieux. À force de concerner tant d’individus, il en devient presque banal et souvent sous-estimé. À tort, selon Aurélie Lattion, docteure en neurosciences et coordinatrice de la plateforme Swiss Stress Network.

IN VIVO Comment définissez-vous le stress?
AURÉLIE LATTION Le stress est une réponse physiologique normale face à un défi ou une menace, essentielle pour notre survie. Il  devient problématique lorsqu’il s’installe de manière chronique ou qu’il est trop intense, comme dans le cas d’un traumatisme, et qu’il est alors à l’origine de toute une série d’effets indésirables. 

IV Quelles sont les idées reçues les plus répandues au sujet de ce trouble?
AL Le stress est souvent perçu comme une réaction purement négative ou simplement comme de la peur ou de l’anxiété. En réalité, le stress est une simple réaction physiologique à un environnement donné. Lorsqu’il génère de la souffrance, le stress reste largement tabou et faussement associé à une incapacité à gérer son mal être.

IV Comment ces perceptions influencent-elles la gestion du stress?
AL Si le stress est vu comme une faiblesse, les personnes qui en souffrent peuvent hésiter à en parler ou à demander de l’aide. Cette stigmatisation complique la récolte de données dans la recherche, empêche le développement de vraies stratégies de prévention et contribue à des politiques superficielles. Aujourd’hui, en Suisse, le burn-out, bien que coûteux humainement et économiquement, n’est pas toujours reconnu comme une maladie professionnelle. 

IV Quels types de pathologies associe-t-on généralement au stress?
AL Le stress peut provoquer des troubles psychologiques comme un burn-out, de l’anxiété, une dépression, mais aussi des troubles physiques comme des problèmes cardiovasculaires ou digestifs. Certains problèmes d’addiction sont aussi directement corrélés au stress. Des études récentes semblent également indiquer un lien possible avec l’aggravation de maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. 

Aurélie Lattion est docteure en neurosiences et coordinatrice de Swiss Stress Network. La plateforme regroupe plus de 70 scientifiques travaillant dans différents domaines de recherche sur le stress dans les universités suisses. 

IV Existe-il un facteur de stress prédominant auprès de la population suisse?
AL La pression de performance est un facteur central. Dans ce modèle, le ratio contraintes versus ressources est souvent en déséquilibre, et la capacité à souffrir en silence est généralement considérée comme une vertu, ce qui laisse peu de place à une gestion saine du stress.

IV Quelles sont les populations les plus touchées?
AL Majoritairement les personnes actives en entreprise, où l’on peut mieux étudier le problème. Environ 30% des employé-es se déclarent épuisés émotionnellement, selon le Job Stress Index. Les jeunes ne sont pas en reste. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce ne sont pas les réseaux sociaux qui génèrent le plus de stress chez eux, mais plutôt la pression académique et l’incertitude liée à leur avenir professionnel. Une récente étude de Pro Juventute sur le sujet révèle que 40,7% des jeunes mentionnent les examens et 31,1% citent la pression générale liée à a performance. 

IV Comment le stress impacte-t-il les enfants et les adolescent-es?
AL Il peut durablement affecter leur développement social et émotionnel. La pandémie a encore exacerbé cette situation. L’un de leurs plus grands défis est de faire face à des exigences élevées à l’école et à la maison, dans un contexte général où l’avenir semble de plus en plus incertain. 

IV Pouvez-vous nous parler des répercussions les plus significatives du stress sur notre société?
AL Cette pression a un impact profond sur la santé individuelle, ce qui se répercute ensuite sur l’ensemble du tissu social, affectant les relations interpersonnelles, la cohésion communautaire, et bien sûr, l’économie. L’impact économique est immense et mesurable. La perte de productivité liée au stress génère des pertes considérables. En 2022, ces coûts ont été estimés à environ 6.5 milliards de francs suisses. Cette réalité met en lumière l’urgence d’intégrer le stress dans les politiques de gestion des ressources humaines et dans la manière dont les environnements de travail sont organisés.

IV Quelle piste vous semble aujourd’hui la plus pertinente pour renforcer la prévention?
AL La clé réside dans une meilleure communication, d’une part, entre celles et ceux qui mènent les recherches et, d’autre part, avec le grand public. Il faut lutter contre les malentendus et adopter une approche plus intégrée, qui prenne en compte à la fois la prévention et les solutions adaptées aux différents contextes, que ce soit en milieu professionnel, scolaire ou dans la vie quotidienne. 

 

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Le Swiss Stress Network regroupe plus de 70 scientifiques travaillant dans différents domaines de recherche sur le stress dans les universités suisses. 
www.stressnetwork.ch/fr

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