
QUAND FAIRE L'AMOUR NE PREND PAS UNE RIDE
Publié il y a 1 semaine
07.04.2025
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Elle est la grande absente des discussions, des films à succès ou des dernières sorties littéraires: la sexualité des seniors. Notre imaginaire collectif fait les frais de cette invisibilité. Sur le terrain, les professionnel-les de santé constatent que l’idée d’avoir une vie sexuelle jusqu’à ses derniers jours surprend encore.
Le sexe à l’âge avancé est entouré d’idées reçues tenaces, comme le fait qu’avec les années, la sexualité diminuerait de manière linéaire et que plus on vieillit, moins on aurait de relations sexuelles. Un stéréotype populaire qui ne résiste pourtant pas à de récents chiffres. Une étude réalisée en 2019 par une équipe de recherche allemande et publiée dans le journal de l’American psychological association révèle que près d’un tiers des 60-80 ans sont plus actifs et actives sexuellement que les 20-30 ans. Mais encore, ce tiers a également plus de pensées libidineuses.
«La vie sexuelle ne s’arrête pas avec la vieillesse.»
Corinne Hafner de Pro Senectute
Pour Corinne Hafner de Pro Senectute Suisse, ces chiffres ne sont pas surprenants. À l’image des autres générations, les seniors continuent d’avoir une libido. «La vie sexuelle ne s’arrête pas avec la vieillesse. Ce sont les préjugés âgistes qui véhiculent ce cliché.» Des préjugés qui vont jusqu’à impacter les principaux concernés. «Les seniors doivent comprendre qu’ils et elles peuvent continuer à avoir des rapports, malgré le vieillissement et les changements du corps, explique Corinne Hafner. Comme leur sexualité est un grand tabou dans la société, ce cheminement n’est pas facile».
Pour Patrizia D’Amelio, médecin cheffe de service en gériatrie au CHUV, il faut briser le tabou du sexe chez les seniors. «L’âge en tant que tel n’a pas impact sur la sexualité, analyse la spécialiste. C’est tout ce qui peut accompagner le vieillissement qui risque de freiner la vie sexuelle: la ménopause, les problèmes de santé, les douleurs, la fatigue. C’est crucial que les aîné-es parlent de ces soucis et de leurs impacts sur la vie intime. Des solutions peuvent être trouvées, mais elles doivent être adaptées à chacun et chacune.»
Face à l’apparition de problèmes physiques ou psychologiques, le dialogue avec les professionnel-les de santé est crucial, insiste la Patrizia D’Amelio. Les obstacles que les aîné-es sont susceptibles de rencontrer dans leur vie sexuelle sont nombreux, mais ils ne signifient pas la fin d’une intimité épanouie. Au contraire, ils peuvent inviter à repenser le plaisir.
«C’est mieux qu’avant»
Zoé Blanc-Scuderi, sexologue, anime les «Apero sexo» à Cité Senior Genève. Ces rencontres mensuelles offrent un espace aux aîné-es où ils et elles peuvent discuter de sexualités, d’intimités et de relations loin de tout jugement. «Des aîné-es me disent «’’maintenant, le sexe, c’est mieux qu’avant’’, explique Zoé Blanc-Scuderi. Pourquoi? Parce qu’ils et elles s’affranchissent de certaines injonctions comme la performance, l’érection dure, la durée des rapports. Résultat: moins de pénétration, plus de diversité dans les pratiques… et souvent, plus de plaisir.»
Les modifications corporelles, souvent perçues comme des obstacles, peuvent offrir une opportunité de (re)découvrir sa sexualité. «Les couples trouvent d’autres façons de faire l’amour», note Corinne Hafner de Pro Senectute.
Une vision plus inclusive
Pour les spécialistes de l’âge avancé, l’un des principaux obstacles à une vie sexuelle active est de nature sociale. «Pour les personnes célibataires ou veuves, faire des rencontres n’est pas toujours facile, surtout si elles sont dans une institution de soins», explique Patrizia D’Amelio.
«Les questionnements qui traversent un couple de seniors peuvent être similaires à ceux d’un jeune couple.»
Zoé Blanc-Scuderi, sexologue
Mais la rencontre d’un-e potentiel-le partenaire est un enjeu complexe qui dépasse de loin l’âge avancé. De même, les problèmes qui affectent la vie sexuelle des aîné-es sont sans doute plus universels que ce que les stéréotypes laissent penser, comme le précise la sexologue Zoé Blanc-Scuderi: «Les questionnements qui traversent un couple de seniors peuvent être similaires à ceux d’un jeune couple. Par exemple, la question de la pénétration, des éventuelles douleurs. Des adultes de tous âges sont concerné-es par des soucis de sécheresse, de troubles érectiles, de maladies. Ce qu’on voit c’est qu’il n’y a pas la sexualité des ainé-es d’un côté et celle des jeunes de l’autre. Il faut casser cette vision figée des choses.»
«Les personnes queer peuvent se sentir d’autant plus invisibilisées en vieillissant.»
Patrizia D'Amelio du service de gériatrie au CHUV
Une vision moins arrêtée du sexe et de ses pratiques pourrait aider les jeunes et les seniors à accepter des vies intimes plus diverses, moins enfermées dans les idées reçues. Patrizia D’Amelio souligne ainsi l’importance de penser la sexualité des aîné-es de manière inclusive, en considérant les minorités sexuelles. «Les personnes queer peuvent se sentir d’autant plus invisibilisées en vieillissant. Il y a très peu de représentation des seniors LGBTQIA+, alors que leur sexualité existe autant que celle des autres.»
Le sexe repensé
Réfléchir à la sexualité des aîné-es, c’est aussi déconstruire notre rapport global au sexe. Pour Zoé Blanc-Scuderi, cela passe par un changement de perspective. «Sortir d’une vision centrée sur la pénétration, la performance et les injonctions permet de lever un poids et d’ouvrir le champ des possibles pour toutes les générations.»
Sujet sensible, tabou et pourtant au cœur de nos relations sociales, la sexualité est entourée de stéréotypes qui ne résistent pas à l’analyse des expert-es. Surtout, les professionnel-les de la santé insistent sur un point que résume Patrizia D’Amelio. «Il doit y avoir une place pour discuter de la sexualité dans la relation entre le corps médical et les patient-es aînés, loin des jugements et des clichés.»