ENTASSER JUSQU'À EN DEVENIR MALADE

JULIA RIPPSTEIN

Publié il y a 5 jours

06.03.2025

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Dans la majorité des cas, le syndrome de Diogène s'accompagne d'autres troubles psychiques et les personnes concernées ne cherchent jamais d'aide.

Lorsque l’on pense au syndrome de Diogène, c’est souvent l’image d’un appartement encombré qui vient à l’esprit. «Une femme, atteinte de cette maladie, vivait sur l’accoudoir de son canapé, le seul endroit encore libre de son logement», raconte Stéphane Morandi, médecin responsable de la Section psychiatrie mobile du CHUV. Pourtant, le trouble ne s’exprime pas systématiquement par de l’accumulation pathologique d’objets. Certaines personnes n’accumulent pas, mais négligent totalement leur corps, pouvant entraîner des complications pour la santé, telles que des plaies ou de la dénutrition. D’autres expriment le syndrome à travers le repli et l’isolement. «Ces personnes sont hostiles à tout contact», précise Benjamin Lavigne, médecin adjoint à l’Institut de Psychiatrie Légale du CHUV et auteur d’une étude sur le sujet. 

Une personne qui ne cherche pas d’aide, malgré le fait de vivre dans des conditions intenables, est un critère majeur pour déterminer si elle est atteinte du syndrome de Diogène. «Aucune personne touchée par ce trouble ne vient consulter d’elle-même, explique Stéphane Morandi. Les cas nous parviennent à la suite d’un signalement, souvent en raison des odeurs ou des détritus débordant sur le palier.» 

Toutes les classes sociales concernées

Le syndrome de Diogène toucherait 1 à 2 personnes sur 10'000 dans les pays industrialisés, sans distinction de genre. Quant à l’âge, les spécialistes expliquent que ce sont autant les seniors que les jeunes trentenaires qui peuvent être touchés. La prévalence augmente néanmoins avec l’âge. Contrairement aux idées reçues, toutes les classes sociales sont affectées. «La précarité n’est pas systématique. On rencontre aussi des personnes atteintes du syndrome qui possèdent beaucoup d’argent, parce qu’elles ne dépensent rien», souligne Benjamin Lavigne. 

Le syndrome comme symptôme

Ce trouble n’existe pas vraiment en tant que tel, dans la mesure où il va souvent de pair avec un autre trouble psychiatrique. «Le syndrome de Diogène est davantage une description de symptômes observés qu’un diagnostic psychiatrique en soi», précise l’expert. Dans de nombreux cas, il est associé à d’autres troubles comme des démences, la maladie d’Alzheimer, les psychoses, les troubles anxieux et de l’humeur ou encore les retards cognitifs. 

Le fait de vivre seul et les traumatismes constituent aussi des facteurs de risque. Une rupture familiale, conjugale ou professionnelle peut déclencher ou aggraver un syndrome de Diogène. L’accumulation d’objets peut alors être un moyen de combler un vide et de calmer une anxiété, détaille Stéphane Morandi. Toutefois, une personne présentant un syndrome de Diogène n’arrive en général pas à dire pourquoi elle amasse des choses, puisqu’elle ne mesure pas l’anormalité de la situation. Cette altération du discernement signifie aussi que la personne ne peut plus avoir une vision objective de sa condition et des potentiels dangers sanitaires qu’elle implique. 

Le journaliste Thierry Mertenat et la photographe Magali Girardin ont collecté durant trois ans des témoignages, des cas et des images de lieux pour documenter le syndrome du Diogène. Leur livre «La Vie secrète du Diogène» éd. Labor et Fides est publié en 2009.

Dans «La Vie secrète du Diogène» les images des lieux sont prises avant que ne débute le travail de déblaiement.

La multiplication des visites de lieux encombrés montre que contrairement aux idées reçues cette maladie peut concerner tout le monde. Le syndrome de Diogène peut toucher des personnes précaires ou privilégiées, des personnes jeunes ou âgées, en banlieue comme dans les beaux quartiers.

Les enjeux éthiques de la prise en charge

Ce manque de lucidité rend la prise en charge, qui est généralement imposée, délicate. Après un signalement, les équipes médicales se rendent au domicile de la personne. La prise en charge repose en premier lieu sur le dialogue et l’aide au désencombrement afin de garantir sa sécurité. «Nous avons eu l’exemple d’une personne qui cuisinait au feu de bois à côté d’objets inflammables accumulés», relate Stéphane Morandi. L’équipe d’intervention doit trouver un équilibre entre le respect de l’autonomie de la personne et la gestion des dangers. «Jeter engendre un stress énorme pour les personnes concernées. Car pour elles, chaque objet a une importance. On cherche alors des compromis.» 

Sur le plan médical, il s’agit de traiter les troubles associés, comme la dépression ou la schizophrénie. «Le syndrome en lui-même ne se traite pas directement», précise Benjamin Lavigne. Il est parfois nécessaire de sortir l’individu de son domicile pour rendre celui-ci salubre, ce qui passe souvent par une hospitalisation. Le séjour à l’hôpital doit être le plus court possible et suivi d’un accompagnement. «Le retour dans un espace vide peut être un choc. Il faut éviter une décompensation», prévient-il. Certaines personnes retrouvent leur autonomie avec un accompagnement ciblé, d’autres ont besoin d’un suivi prolongé ou ne peuvent plus vivre seules. «L’hétérogénéité des profils rend une individualisation de la prise en charge indispensable.»

POUR ALLER PLUS LOIN

L’article «Syndrome de Diogène et Hoarding disorder: une même entité» de Benjamin Lavigne et al. aborde les différences et les similitudes entre le Hoarding disorder, soit le syndrome d’entassement, et le syndrome de Diogène. Il a été publié en 2016 dans la revue de psychiatrie L’Encéphale.

Lien vers l’article: bit.ly/41rdUQy