Seniors tous accros?

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JULIEN CREVOISIER

Publié il y a 1 mois

23.01.2025

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Chez les plus de 65 ans les symptômes de dépendance à l'alcool sont souvent interprétés, à tort, comme des effets du vieillissement.

L’alcoolo-dépendance touche toutes les classes d’âges, mais les seniors sont particulièrement exposés. Après 75 ans, près de 37% des hommes et 15% des femmes consomment quotidiennement des boissons alcoolisées, soit entre trois et cinq fois plus que chez les personnes actives de moins de 65 ans. En Suisse, 6,2% des seniors souffrent d’une consommation problématique d’alcool, soit l’équivalent de plus de quatre verres de vin par jour pour un homme et deux pour une femme, selon les derniers chiffres de l’Office fédéral de la santé publique. Et environ un tiers des individus concernés ont développé cette addiction après l’âge de la retraite. 

En parallèle, cette population consomme aussi de nombreux médicaments, notamment les benzodiazépines, des calmants qui comprennent les Temesta et Xanax, pris par près de 18% des plus de 75 ans, d’après un rapport d’Addictions Suisse.

Risque accru de troubles psychologiques

«La sortie de la vie active, le deuil d’un-e proche ou encore le manque de contacts sociaux exposent certaines personnes à des troubles psychiques, comme la dépression et l’anxiété», explique Pierre Vandel, médecin-chef au Service universitaire de psychiatrie de l’âge avancé (SUPAA) du CHUV.

Bien qu’elle soit fréquente, cette détresse psychologique est souvent mal diagnostiquée chez les personnes de plus de 65 ans. «Les symptômes les plus courants, comme le sentiment de profonde tristesse, la diminution des facultés psychomotrices ou encore la perte d’appétit, sont parfois considérés à tort comme un simple effet du vieillissement. Cette banalisation entraîne malheureusement beaucoup de retards dans l’accès aux soins chez des personnes qui en auraient pourtant besoin.»

En plus, les comportements à risque passent facilement sous les radars, surtout chez les personnes qui vivent seules. «La consommation excessive d’alcool, par exemple, n’est souvent repérée qu’après avoir eu ses premiers effets néfastes sur la santé: par exemple lors d’une hospitalisation pour un état confusionnel aigu ou un accident sur la voie publique.»
 

«À ma troisième chute, je me suis cassé le nez…»

Ancien professeur, Olivier*, 70 ans, a développé une forte dépendance à l’alcool après son passage à la retraite. Les tracas qui l’ont poussé à boire sont multiples: rupture amoureuse, fin de carrière et isolement dû à la pandémie. Une accumulation qui l’a poussé à consommer quotidiennement des quantités toujours plus importantes. Bien que conscient du mal qui le ronge, le retraité ne demande aucune aide dans un premier temps. «Je titubais et je finissais parfois par tomber à terre. À ma troisième chute, je me suis cassé le nez et j’ai donc décidé d’alerter ma sœur.»

Olivier est alors hospitalisé pour les blessures provoquées par sa chute, mais sa dépendance à l’alcool n’est pas traitée. Il se rendra ensuite de lui-même auprès de l’Unité hospitalière de médecine des addictions de l’hôpital de Cery, qui accepte de le prendre en charge. Un combat de longue haleine commence. Après trois semaines de sevrage, le retraité intègre une institution spécialisée et suit un programme de réhabilitation durant un mois, incluant séances de méditation et de prévention de la rechute.

«J’ai éprouvé de la honte. Dans les premiers mois suivant le traitement, je suis resté extrêmement précautionneux. Je savais que le moindre faux pas pouvait conduire à une rechute.» Olivier s’abstient de boire pendant près de deux ans et demi. Puis, à l’occasion de vacances entre amis en Italie, il s’autorise un verre de vin. «J’étais en bonne compagnie, et je voulais retrouver mon côté bon vivant. Je me sentais prêt à retenter l’expérience en gardant le contrôle sur ma consommation.»

Mais il perd vite la maîtrise de la situation. «À partir de là, c’est allé de mal en pis. Je me suis retrouvé dans des situations d’enivrement comparables à celles traversées trois ans plus tôt.» Sa fille tire la sonnette d’alarme. Il est admis une deuxième fois à Cery, où il passera dix jours de sevrage.

Aujourd’hui, l’ancien enseignant indique être dans un «bon état d’esprit» et déclare ne plus boire. Pour lui, l’abstinence signifie aussi renoncer à un plaisir de longue date. «C’est pourquoi j’ai d’abord eu espoir que je pourrais un jour maîtriser ma consommation. Mais l’épisode de la rechute m’a fait prendre conscience que les conséquences négatives surpassaient largement les côtés positifs.»

Pour le professeur Jean-Bernard Daeppen, chef du service de médecine des addictions, les épisodes d’alcoolisation représentent un risque plus élevé pour la santé des personnes de plus de 65 ans, l’organisme devenant plus fragile avec l’âge. «Elles sont notamment plus vulnérables face à des maladies comme la pancréatite et la cirrhose.»

* prénom d’emprunt

Benzodiazépines et alcool font mauvais ménage

Lors d’une alcoolisation aiguë, la probabilité d’une perte d’équilibre augmente chez les individus qui suivent un traitement médicamenteux à base de benzodiazépines, qui ont une fonction de calmants. «Le mélange de ces substances avec l’alcool peut fortement altérer l’équilibre et provoquer une confusion mentale importante», dit Jean-Bernard Daeppen «De nombreux seniors recourent aux benzodiazépines pour lutter contre les troubles du sommeil et l’anxiété, très courants dans cette tranche d’âge. Ces substances sont très efficaces mais aussi fortement addictives. Ce risque est toutefois bien connu du personnel soignant. Les prescriptions aux patient-es sont bien encadrées et suivies de façon à éviter la dépendance.»

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