
Vous reprendrez bien une petite pilule?
Publié il y a 2 semaines
27.02.2025
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Quels médicaments avez-vous consommés ces sept derniers jours? Des anti-douleurs pour un mal de dos qui dure? Peut-être des somnifères, des anti-dépresseurs ou des bêta-bloquants? Vous faites ainsi partie des 55% de la population qui a pris un médicament sur une période d’au moins sept jours en 2022. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter depuis 30 ans selon l’Enquête suisse sur la santé.
Étonnamment, selon le même sondage, 85% de la population suisse se considère en bonne ou en très bonne santé. «Il n’y a pas forcément d’opposition entre bonne santé et médicaments, estime Matthieu Goldschmidt, pharmacien à Rolle et membre du comité de la Société vaudoise de pharmacie. La consommation augmente, en effet, mais ce n’est pas une mauvaise chose. Par exemple, de nouveaux traitements permettent aujourd’hui de soigner des maladies pour lesquelles nous n’avions rien auparavant.»
«La douleur n'est plus une fatalité»
En tête des médicaments les plus consommés figurent les analgésiques, soit les anti-douleurs. De 12% en 1992, la part de la population les utilisant pendant au moins une semaine est passée à 26% en 2022. Le recours plus fréquent à ces molécules peut notamment être expliqué par l'augmentation du nombre de cancers qui impliquent souvent des douleurs et multiplient les prescriptions d’antalgiques.
Mais selon Farshid Sadeghipour, chef du service de pharmacie du CHUV, le changement est aussi sociétal. «Depuis quelques décennies, nous sortons d’une vision judéo-chrétienne de la souffrance pour une approche plus juste et réaliste. À l'hôpital, la douleur n’est plus acceptée comme une fatalité. Nous savons désormais qu’elle a des impacts sur la post-hospitalisation ainsi que sur l’humeur et sur la capacité de rétablissement. Nous y faisons donc très attention.»
Davantage de prévention
De plus en plus, c’est la maladie elle-même qui n’est plus une fatalité. Grâce à un effort particulier mis sur la prévention ces vingt dernières années, de nombreuses affections comme les cancers ou le diabète sont dépistées plus tôt, ce qui permet une meilleure prise en charge, notamment médicamenteuse. «Même si cela peut donner le sentiment que les coûts de la santé augmentent, il y a beaucoup d'hospitalisations qui ont disparu grâce à la prévention», se réjouit le pharmacien du CHUV.
Une population en meilleure santé car traitée mieux et plus tôt, c’est la promesse d’une prévention qui aurait tendance à se médicaliser, selon Claudine Burton-Jeangros, professeure de sociologie de la santé à l’Université de Genève, qui nuance cette vision optimisme. «Certaines catégories de la population plutôt privilégiées sont amenées à consulter plus souvent pour éviter de tomber malade parce que la médecine nous encourage à intervenir même quand tout va bien. L’offre de médicaments alimente cette attente et donne des outils aux médecins pour la satisfaire.» Et de conclure en appelant à une réflexion plus vaste sur notre rapport à la santé: «La prévention devrait agir sur les déterminants sociaux de la santé, bien en amont de la rencontre entre une personne et son médecin ou son pharmacien.»