Obésité

CES MÉDICAMENTS AUX PROPRIÉTÉS INCROYABLES

BLANDINE GUIGNIER

Publié il y a 1 jour

11.03.2025

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Des traitements permettent de générer une sensation de satiété. D'une grande utilité pour les personnes obèses, ces médicaments sont malheureusement parfois détournés de leur usage premier.

«Notre organisme a évolué au cours des millénaires dans un environnement où la rareté des aliments était prédominante, révèle Lucie Favre, co-directrice du centre d’obésité du CHUV. Pour garantir notre survie lors des périodes de disettes, notre métabolisme a appris à optimiser le stockage de l’énergie. Ainsi, lorsque nous mangeons, notre système digestif sécrète de nombreuses hormones comme le GLP1, qui envoie un message de satiété à notre cerveau. À l’inverse, si nous ne nous alimentons pas ou diminuons les apports alimentaires de manière importante, la sensation de faim augmente afin de favoriser la consommation de calories.»

Dans le but de contrer ce mécanisme de survie, qui engendre de la souffrance chez les personnes obèses, des médicaments aux noms très divers ont été inventés cette dernière décennie. Il s’agit notamment du Saxenda et du Wegovy. On appelle cette famille «analogues du GLP1», car ils imitent l’action de l’hormone intestinale. 

Ces traitements marquent une avancée révolutionnaire sur deux fronts. «Il s’agit d’un progrès sociétal d’une part, souligne Lucie Favre. La compréhension de ces mécanismes met en lumière que l’obésité n’est pas une question de manque de volonté. Pour perdre du poids, il ne suffit pas de bouger davantage et de manger moins. Ces patient-es doivent combattre leur propre métabolisme qui souhaite toujours contrer une perte pondérale, même si le poids de départ est trop élevé.» D’autre part, il s’agit d’une grande avancée thérapeutique. «Outre l’effet de vidange gastrique ralentie, l’action révolutionnaire de ces médicaments se situe au niveau du cerveau. Ils transmettent le signal que des aliments ont été consommés, apaisant ainsi le métabolisme en lui faisant croire qu’une prise alimentaire a eu lieu.»

Ces traitements favorisent aussi une libération d’insuline ce qui permet de réduire le glucose dans le sang. Ainsi, en un an de traitement, les pertes de charges pondérales chez les patient-es sont élevées: en moyenne, 8% pour le Saxenda, 16% pour le Wegovy et 22% avec le Mounjaro (le dernier médicament autorisé par Swissmedic reproduisant, outre l’hormone GLP1, l’hormone GIP). Comme la GLP1, la GIP est une hormone gastro-intestinale qui stimule la sécrétion d’insuline. Les traitements qui combinent ces deux hormones sont encore plus efficaces que ceux qui reproduisent seulement la GLP1.

 

Environ 12% de la population helvétique souffre d’obésité. Plus d’un-e Suisse-sse sur dix pourrait donc prétendre à ces traitements. «Ils s’adressent à des patient-es dont l’indice de masse corporel (IMC) est supérieur à 35 kg/m2 , ou compris entre 28-35 kg/m2 en présence d’une autre pathologique métabolique.» Pour rappel, un poids «normal» se traduit par un IMC compris entre 18,5 et 25. 

L’assurance-maladie rembourse le Saxenda et le Wegovy à des conditions strictes, avec des objectifs de poids chiffrés et un contrôle par un endocrinologue tous les six mois. «Il faut que la personne soit pleinement engagée, car il n’y aura pas d’autre opportunité de remboursement si elle n'atteint pas les objectifs», prévient Lucie Favre. La prise des médicaments se fait à l’aide d’un stylo injecteur prérempli. Elle est toujours couplée à des mesures d’hygiène de vie pour une alimentation saine et une activité physique régulière, afin d’éviter une perte de masse musculaire. Un accompagnement psychologique est parfois nécessaire, comme dans le cas de Cindy Cauzo.

«Je suis sortie de ma relation toxique avec la nourriture»

PROPOS RECUEILLIS PAR BLANDINE GUIGNIER

Depuis qu'elle prend du sémaglutide, Cindy Cauzo, membre de l'association Eurobesitas, est parvenu à perdre 30 kg.

«Enfant, j’étais en léger surpoids. Vers 11 ans, j’ai commencé mes premiers régimes, sans grand succès. En entrant dans l’adolescence, les moqueries à l’école se sont intensifiées et les troubles alimentaires ont débuté. Je me cachais pour manger, pour trouver du réconfort dans la nourriture. Heureusement, je n’avais pas de problèmes de santé par ailleurs, comme du diabète ou du cholestérol, mais l'impact sur ma santé mentale et ma vie quotidienne était immense. En 2021, j'ai atteint 135 kg. Ce poids symbolisait une souffrance que je ne pouvais plus ignorer. J'ai décidé qu'il était temps d'agir.

Deux options s’offraient à moi: la chirurgie bariatrique ou le médicament Saxenda, un analogue du GLP1. Comme l’opération me faisait peur, avec une perte de poids trop rapide, je me suis dirigée vers le médicament. Mais je savais aussi que ce traitement ne serait pas une solution miracle: il exigeait un engagement total. Ce processus m'a permis de comprendre qu'il fallait travailler sur moi-même, avec un soutien multidisciplinaire. Je suis suivie par une diététicienne pour réapprendre à manger, un physiothérapeute du sport pour augmenter ma masse musculaire, puis un psychologue pour comprendre mes émotions et mes comportements alimentaires. Cet accompagnement global m'a offert un élan décisif vers une transformation durable. C'est pourquoi, il est essentiel d'être accompagné par des personnes bienveillantes. 

En deux ans, j'ai perdu 30 kg. Je suis sortie de ma relation toxique avec la nourriture. Grâce au suivi dont j'ai bénéficié, j'ai appris à répondre autrement à mes besoins émotionnels comme aller me promener avec ma chienne, ou faire de la peinture. J'ai retrouvé le plaisir de cuisiner et de manger normalement. Le traitement m'a aidée en diminuant mes sensations de faim et en réduisant l'effet de réconfort lié à la nourriture, notamment en mangeant du chocolat par exemple. Ce reset dans mon cerveau m'a permis de casser plus facilement certains mauvais réflexes.

Désormais, je prends un autre analogue du GLP1: le Wegovy. Mon corps se normalise peu à peu, et je me fixe des objectifs atteignables. Mon but est de diminuer la dose du médicament et de rester à un poids qui me convienne. 

L'obésité est une maladie complexe, souvent réduite à tort à une question de volonté ou de poids. Avec les bons outils et du soutien, il est possible de se reconstruire. Je ne suis plus prisonnière de la nourriture: je vis en paix avec elle, et avec moi-même.»

Revers de la médaille

Pour la présidente d’Eurobesitas, association romande qui représente les intérêts des personnes obèses, les analogues du GLP1 sont un outil très intéressant, mais ne constituent pas des solutions miracles pour autant. «Il y a quelques contre-indications, comme des antécédents de cancer médullaire de la thyroïde, ou une situation d’instabilité psychique très marquée, indique Dominique Durrer, également médecin spécialiste en nutrition à Vevey. Il y a aussi des effets secondaires, plus ou moins importants selon le médicament, comme des nausées ou des vomissements.» Lucie Favre rappelle aussi que 14% des patient-es ne répondent pas au traitement et que les patient-es diabétiques perdent nettement moins de poids. «La chirurgie bariatrique métabolique est une option de choix lorsque les résultats avec les traitements médicamenteux ne sont pas suffisants.» 

Lorsqu’on parle de médicament «miraculeux», il y a le risque que la grossophobie augmente, craint Dominique Durrer. «Être gros-se pourrait être encore moins admis en Suisse. J’ai peur que les gens se disent: ils ou elles n’ont qu’à prendre un médicament et voilà». La médecin veveysane suit de près l’évolution de la situation aux États-Unis, où un-e Américain-e sur huit a déjà testé un analogue du GLP1 pour maigrir. Le pays semblerait connaître un recul de l’inclusivité, selon un article du Courrier international publié en octobre. «Le nombre de mannequins maxi a été divisé par deux dans les défilés et plusieurs marques américaines ont retiré les tailles XXL de leur assortiment.»

Problème de pénurie

Des personnalités comme Elon Musk ou Oprah Winfrey, mais aussi des quidams sur les réseaux sociaux, vantent les avantages des analogues du GLP1 auprès du grand public. Des médecins peu scrupuleux ont prescrit de l’Ozempic, normalement utilisé contre le diabète, mais aussi du Saxenda et Wegovy, à des personnes qui n’étaient ni diabétiques, ni obèses. «Certaines et certains se les procurent pour perdre des kilos en trop, reconnaît Lucie Favre. Cette réalité est dangereuse à plusieurs titres. D’une part, les études cliniques sur ces médicaments ont uniquement été réalisées auprès de personnes souffrant d’obésité ou diabétiques. D’autre part, les prendre sur le court terme et sans suivi multidisciplinaire peut déboucher sur des effets yoyo.»

CHIFFRE

12%

Le pourcentage de la population helvétique qui souffre d'obésité.

Plus grave encore, l’usage détourné de ces médicaments a conduit à des pénuries d’Ozempic et de Saxenda en Suisse. «Actuellement, les stocks de Wegovy sont suffisants dans notre pays, mais j’ai échangé avec un collègue américain qui ne peut plus les prescrire en raison d’une pénurie.» Or, comme il s’agit d’une maladie chronique, on ne peut pas juste arrêter le médicament d’un jour à l’autre. Même si le remboursement est limité à trois ans, Lucie Favre ne recommande pas à ses patient-es d’arrêter passé ce délai. «Nous essayons de stabiliser le poids de la personne, puis nous réduisons la posologie du traitement jusqu’à une dose minimale nécessaire. Certes, le coût est ensuite à charge des patient-es mais cela augmente leurs chances de prévenir une reprise pondérale.»

De grandes espérances

Dans un avenir proche, les analogues du GLP1 pourraient permettre de lutter contre d’autres maladies que le diabète ou l’obésité. «Une diminution de 20% des risques cardio-vasculaires chez des patient-es en situation d’obésité et non diabétiques ainsi qu’une protection rénale ont été constatées, allant au-delà de ce qui est induit par la perte de poids», relève Lucie Favre.

Des recherches sont aussi menées dans le domaine des addictions et des maladies neuro-dégénératives. Au CHUV par exemple, deux études sont en cours chez 11 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à un stade débutant. «Il s’agit de deux essais cliniques internationaux de phase trois, chacun recrutant 1840 personnes, explique Olivier Rouaud, directeur adjoint du Centre Leenaards de la mémoire. L’objectif principal est d’évaluer l’effet du sémaglutide (un des analogues du GLP1) sur le maintien cognitif et de l’autonomie après deux ans, puis après trois ans. D’autres marqueurs biologiques de la maladie sont également étudiés.»

Les chercheurs et les chercheuses pensent que les analogues du GLP-1 agissent sur la maladie d’Alzheimer en raison de leurs capacités à abaisser la glycémie périphérique et à réduire l'inflammation. «Dans un essai impliquant des souris, le sémaglutide a également amélioré l'absorption du glucose dans le cerveau, l'apprentissage et la mémoire, et a réduit les plaques amyloïdes et les enchevêtrements de la protéine tau qui sont les deux caractéristiques de la maladie d’Alzheimer.» Une source d’espoir pour les quelques 150'000 personnes atteintes d'Alzheimer en Suisse.

S'HYDRATER AVEC DU SODA: UN RÉFLEXE DANGEREUX

Impossible pour eux d’avaler de l’eau, confiaient récemment sur TikTok plusieurs adolescent-es, dont Chloé, une Française de 18 ans. La jeune femme indiquait ne boire que des sodas, car elle jugeait le goût de l’eau «immonde». Cette forme de dégoût n’étonne pas Pedro Marques-Vidal, spécialiste en recherches cliniques au CHUV. «Comme avec certaines drogues, le consommateur régulier de sodas a absolument besoin de cette sensation gustative. Plus il consommera de sucre, plus sa sensibilité au sucre diminuera, et plus il lui faudra une forte intensité.»

Outre ce problème comportemental de «craving» ou de désir ardent de consommer du sucre, le médecin pointe du doigt un risque pour la santé en général. «Nous avons suffisamment de données aujourd’hui pour démontrer que chez l’adulte, comme chez l’enfant, il y a une association entre consommation de sodas et risque d’obésité, voire de diabète.» Face à l’augmentation de l’obésité parmi les jeunes en Suisse, la prévention devrait être beaucoup plus importante. «La chose la plus rentable financièrement et efficace serait de légiférer. La taxation des boissons sucrées a fait ses preuves au Mexique, dans plusieurs comtés nord-américains, au Portugal, au Royaume-Uni... Ces pays proscrivent aussi les sodas dans les écoles. La ville de Londres empêche même les fast-foods de s'installer à moins de 400 mètres d'un établissement scolaire.» Le choix des cantons et de la Confédération de privilégier les campagnes d’éducation à la santé est une erreur, pour Pedro Marques-Vidal. «Elles seront toujours limitées dans le temps et leur budget restera incomparablement plus faible que celui des équipes marketing des géants du soda.»

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