Tendances
Texte: Stanislas Cavalier

Cette médecine qui en fait trop

Certains dépistages détectent des anomalies sans conséquence pour la santé. Ce surdiagnostic a d’importantes répercussions sanitaires et économiques.

Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore», écrivait Jules Romains dans sa pièce de théâtre Knock ou le triomphe de la médecine (1923). Aujourd’hui, «une personne en bonne santé est surtout quelqu’un qui n’a pas encore subi de dépistage», ironise Sauveur Boukris, médecin généraliste et auteur du livre La fabrique de malades: ces maladies qu’on nous invente. La situation s’avère plus contrastée. Grâce aux techniques médicales modernes, il est désormais possible de détecter d’infimes anomalies dans le corps humain, tels des amas de cellules cancéreuses de quelques millimètres. Les bénéfices sont parfois clairement démontrés. Ainsi, les dépistages du cancer du col utérin ou du cancer du côlon permettent une meilleure prise en charge de ces maladies.

«Mais avec certains dépistages, il peut arriver que soit identifiée une véritable anomalie non associée à un risque pour la santé. C’est ce qu’on appelle le surdiagnostic», explique le Dr Arnaud Chiolero, privat-docent, médecin épidémiologue à l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive du CHUV et auteur d’une revue de littérature sur le sujet, publiée dans le Swiss Medical Forum. Le surdiagnostic est le corollaire d’une médecine préventive et hautement technologique. En effet, la prévention, via des dépistages, repose sur le fondement que plus une maladie est détectée tôt, mieux elle pourra être traitée. «Il est clair que la prévention a fait ses preuves dans de nombreux domaines, que cela soit dans les maladies cardiovasculaires (par ex. dépistage et traitement de l’hypertension artérielle sévère pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux) ou les cancers (par ex. dépistage du cancer du col utérin), poursuit Arnaud Chiolero. Malheureusement, dans certains cas, l’identification d’une anomalie chez une personne entraîne la mise en place d’un traitement, alors même que cette anomalie n’aurait jamais causé de symptôme ou entraîné le décès. C’est un problème majeur, car le surdiagnostic aboutit à un surtraitement qui n’apporte aucun bénéfice pour le patient mais qui peut être source d’effets secondaires et de complications. Et qui implique des coûts parfois élevés pour la santé publique.»

Sensibiliser les suisses

Le débat va s’intensifier en Suisse: la Fédération romande des consommateurs, aux côtés de ses consœurs tessinoise et alémanique, va lancer cette année une campagne d’information pour sensibiliser le public à la question de la surmédicalisation. Une série d’actions sur le sujet sera aussi mise sur pied. «Il s’agit d’une problématique complexe et délicate à communiquer, qui ne doit pas être amalgamée avec une médecine au rabais, mais clairement identifiée à des actes médicaux dont les bénéfices pour la santé n’ont pas été scientifiquement démontrés», écrit la fédération sur son site en janvier 2014.

Eviter les traitements invasifs

Le dépistage du cancer de la prostate est un cas emblématique. La détection des tumeurs de cet organe se fait lors d’analyses sanguines par le dosage du PSA (Prostate Specific Antigen). Cette protéine est naturellement produite par les cellules prostatiques. Mais les cellules cancéreuses en sécrètent dix fois plus que les normales. Mesurer la concentration du PSA permet donc de suspecter le développement d’un cancer chez le patient.

«Des études indiquent que 30 à 70% des hommes âgés de plus de 60 ans auraient une tumeur de la prostate. Si on la détecte du vivant de la personne, le problème devient de comprendre comment elle va évoluer. Va-t-elle se transformer en cancer agressif ou croître très lentement sans jamais mettre en danger le patient? interroge Arnaud Chiolero. Les estimations sont très incertaines, mais il semble que 17 à 66% des cas détectés par le PSA répondent à la définition du surdiagnostic: le patient ne développera pas de symptômes secondaires à cette tumeur et n’en décédera pas, qu’il soit pris en charge ou non.» Outre le stress d’un tel diagnostic, le traitement chirurgical du cancer de la prostate n’est pas sans conséquence pour le patient, provoquant fréquemment une impuissance et une incontinence.

De nombreuses anomalies sont découvertes fortuitement à l’occasion d’examens radiologiques, qui sont une autre source majeure de surdiagnostic. Ainsi, des chercheurs américains ont analysé les images de CT-scanner du corps entier réalisés chez 1’192 personnes ne présentant pas de problème de santé particulier. Leurs résultats, publiés dans la revue Radiological Society of North America (RSNA), montrent que 86% d’entre eux présentaient des anomalies. La plupart, sans conséquence pour la santé des patients.

Il faut anticiper les conséquences de découverte d’anomalies, et viser à une décision informée et partagée avec le patient.

«Outre les dépistages, une forme plus subtile de surdiagnostic est liée à la diminution des valeurs seuils des facteurs de risque, poursuit Arnaud Chiolero. Par exemple, l’abaissement des taux de normalité de la pression artérielle augmente automatiquement le nombre de personnes considérées comme hypertendues. A partir de certains seuils, le bénéfice du traitement devient minime, voire trop faible au regard des coûts et des risques secondaires au traitement. La difficulté est donc, pour les médecins, d’établir le bon seuil, celui qui évite le surdiagnostic sans tomber dans le sous-diagnostic.»

Le souci des médecins de ne pas manquer un diagnostic et les demandes des patients d’être rassurés quant à l’absence d’anomalies peuvent générer du surdiagnostic. «Tout test de dépistage devrait s’accompagner d’une information sur les bénéfices et les inconvénients d’un tel examen, et sur le risque de surdiagnostic. Il faut anticiper les conséquences de découverte d’anomalies, et viser à une décision informée et partagée avec le patient, précise Arnaud Chiolero. La prévention du surdiagnostic est possible en évitant de faire certains examens dont l’efficacité n’est pas démontrée et, dans certains cas, en faisant des dépistages ciblés. Une autre approche, sujet de nombreuses recherches, est de mieux caractériser les anomalies découvertes afin de distinguer celles qui vont bien évoluer permettant un suivi sans traitement (par exemple: surveillance active de certains cancers de la prostate), de celles qui vont mal évoluer et nécessiter un traitement.»



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​Un acronyme qui dénonce

Un nouvel acronyme se répand depuis quelques années dans les milieux médicaux anglo-saxons: «VOMIT», pour «Victim of Modern Imaging Technology» (victime de la technologie de l’imagerie moderne).

Il dénonce les traitements et opérations inutiles dont sont victimes certains patients suite à des examens d’imagerie médicale. La plupart de ces cas seraient dus à des erreurs d’interprétations des images.

Des études indiquent que 30 à 70% des hommes âgés de plus de 60 ans auraient une tumeur de la prostate. Si on la détecte du vivant de la personne, le problème devient de comprendre comment elle va évoluer. Va-t-elle se transformer en cancer agressif ou croître très lentement sans jamais mettre en danger le patient.