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Texte: Yann Bernardinelli

Quand les émotions détraquent le cœur

Les émotions intenses peuvent provoquer une pathologie cardiaque grave qui touche principalement les femmes et imite l’infarctus : le syndrome du cœur brisé.

Le culte dominical ne s’est pas déroulé comme prévu pour Simone Vaucher, une enseignante vaudoise retraitée de 78 ans. À côté d’elle sur le banc, une femme vacille à plusieurs reprises puis s’effondre. Choquée, l’ex-enseignante la croit morte. Finalement,

la personne semble se remettre de son malaise, mais Simone Vaucher, pour sa part, demeure angoissée. « Une fois chez moi, j’ai mis trois heures à me reprendre. Mon cœur tapait et ma respiration brûlait, je ne savais pas si c’étaient les poumons ou le cœur », décrit-elle. Incapable de s’en remettre, elle consulte son généraliste qui l’envoie aux urgences du CHUV suspectant un infarctus du myocarde. Mais les investigations mènent à une autre piste : elle a été victime du syndrome de takotsubo,
ou syndrome du cœur brisé.

Un cœur en forme d’amphore

Le syndrome de takotsubo est une atteinte cardiaque qui survient souvent à la suite d’une situation de stress intense. Les cardiologues ne savent pas comment le prévenir, car il n’est pas encore entièrement
compris. Cependant, il a été démontré que les niveaux de catécholamines, les hormones du stress, sont en augmentation massive lors de l’apparition de ce syndrome. En conséquence, le muscle cardiaque ne se contracte pas suffisamment au niveau de la pointe du cœur, ce qui l’empêche de fonctionner correctement. Une partie du cœur prend alors une forme caractéristique d’amphore.

« L’élément déclencheur peut être un stress émotionnel ou physique », précise Sarah Hugelshofer, cardiologue au Service de cardiologie du CHUV. La majorité des cas émotionnels surviennent lors d’un choc, par exemple à l’annonce d’un décès, même s’ils peuvent également survenir lors de situations heureuses comme l’annonce d’un gain à la loterie. Les stress physiques concernent la moitié des cas et sont déclenchés par une activité physique intense pour laquelle les personnes ne sont pas préparées, une douleur sévère ou des affections neurologiques comme les AVC ou les crises d’épilepsie. Des antécédents psychiatriques tels que l’angoisse et la dépression augmentent la prédisposition au syndrome. De plus, une composante héréditaire existe probablement, car on trouve des familles présentant plusieurs cas.

Le syndrome touche neuf femmes pour un homme. Les femmes sont principalement concernées dès l’approche de la ménopause, ce qui suggère un lien avec la baisse d’œstrogènes. « Ces hormones sont connues pour leur effet protecteur contre les maladies cardiovasculaires, mais leur association au syndrome du cœur brisé n’est pas clairement comprise, tout comme les facteurs qui déterminent l’évolution de la maladie », reconnaît la cardiologue.

Ecarter l’infarctus

Les symptômes, quant à eux, sont mieux connus. Ils sont similaires à ceux de l’infarctus du myocarde : douleur thoracique, essoufflement et perte de connaissance. Malheureusement, ils ne peuvent être immédiatement différenciés, car « les électrocardiogrammes initiaux sont les mêmes, tout comme les marqueurs sanguins », indique
Sarah Hugelshofer. Cependant, une coronaro­graphie – une technique d’imagerie invasive basée sur les rayons X utilisée pour visualiser les artères menant au cœur – peut précisément aider à diagnostiquer l’infarctus du myocarde, car il est causé par une artère partiellement ou entièrement bouchée visible avec cette méthode. « S’il n’y a pas d’occlusion visible, on cherche autre chose comme une inflammation du myocarde ou un takotsubo. Une échographie et souvent une IRM du cœur sont alors réalisées pour établir le diagnostic final. »

Comme l’occlusion artérielle responsable de l’infarctus entraîne la mort des cellules cardiaques et mène au décès dans les cas graves, il est important d’intervenir rapidement pour rétablir le flux sanguin. Alors que pour le syndrome du cœur brisé, une hospitalisation avec surveillance cardiaque et un traitement médicamenteux
sont nécessaires. « Il est donc crucial de différencier les deux pathologies par une imagerie des coronaires », détaille la cardiologue.

L’intelligence artificielle en soutien

Récemment, une équipe de recherche de l’EPFZ et de l’Université de Zurich a conçu un outil basé sur l’intelligence artificielle pour tenter de faciliter la différenciation du takotsubo avec l’infarctus. « Habituellement, elle se fait par coronarographie, mais nous voulions tester le potentiel de l’échographie pour le diagnostic.
Nous avons d’abord entraîné notre intelligence artificielle à partir de données d’échocardiographie d’individus dont
le diagnostic était connu afin qu’elle apprenne automatiquement à identifier et extraire des informations pertinentes pour le diagnostic. Nous l’avons ensuite testée sur d’autres données et comparéeà l’humain », indique Fabian Laumer doctorant au Department of Computer Science de l’EPFZ et premier auteur de cette étude. Comparé aux cardiologues, l’outil s’est avéré légèrement plus efficace et plus rapide. « Mais il est encore loin d’atteindre la précision obtenue avec la coronarographie », précise le chercheur.

L’intelligence artificielle est déjà utilisée en cardiologie pour mesurer la fonction cardiaque en complément des analyses manuelles, notamment pour les images d’IRM. « Bien qu’elle ne puisse pas remplacer les personnes, dans certains cas elle peut être plus fiable, car un ordinateur applique une analyse qui est parfaitement reproductible contrairement aux différents opérateurs humains », ajoute Sarah Hugelshofer. /



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Les femmes oubliées de la cardiologie

Le syndrome de takotsubo, parce qu’il touche principalement les femmes, est encore peu compris, dans une médecine des hommes faite pour les hommes. Aujourd’hui encore, les femmes meurent deux fois plus que les hommes des suites d’une maladie cardiovasculaire, takotsubo compris, notamment parce que les femmes sont sous-représentées dans les études cliniques sur lesquelles sont définis les protocoles de prise en charge ou les tests de traitements. Il s’ensuit une cardiologie genrée, dans laquelle les femmes sont encore trop souvent moins bien traitées que les hommes.