Tendances
Texte: Arnaud demaison

Se soigner au LSD, sans faire d’accro

Le microdosage de psychédéliques permet de traiter la dépression, la migraine, ou le stress post-traumatique. Gros plan sur un phénomène qui gagne en popularité.

Les lois qui visaient à interdire l’usage récréatif ont aussi découragé la recherche.

Dans la série Nine Perfect Strangers, Nicole Kidman est la gérante d’un centre de remise en forme dans lequel elle administre du LSD en faible dose à ses pensionnaires à leur insu, pour les aider à faire face – avec plus ou moins de succès – à leurs traumatismes passés. Si cette fiction s’éloigne des considérations médicales et éthiques qui accompagnent habituellement ce genre de traitement, elle met en lumière une pratique de plus en plus répandue : le microdosage.

Que ce soit du LSD ou de la psilocybine, de nombreuses substances circulent dans les milieux qui ont les moyens de se les procurer. Une microdose se situe généralement entre 5 et 10% de la quantité normalement requise pour obtenir un effet psychédélique. Pas d’hallucinations, les effets sont subtils et permettent aux personnes de fonctionner normalement, comme en prenant un médicament classique. Fort de résultats très positifs, le phénomène se démocratise au point d’intéresser la recherche, il doit cependant encore se débarrasser d’un problème d’image.

« War on drugs »

La politique de prohibition du gouvernement américain dans les années 1970 sous le président Nixon a
eu des répercussions dans le monde entier : un répertoire de substances désignées comme « drogues à bannir » sera repris jusqu’en Europe, mettant dans le même
panier opiacés, cannabis et psychédéliques. Si ces lois visaient à interdire l’usage récréatif, elles ont aussi découragé la recherche. C’est grâce aux débats sur
la libéralisation du cannabis que certaines barrières morales et politiques sont en passe d’être franchies.

Pour Gabriel Thorens, psychiatre spécialiste en addictologie aux HUG, les psychédéliques souffrent toujours en 2022 d’une mauvaise réputation. Pour l’expert, « on sait aujourd’hui qu’il faut faire la différence entre l’effet psychotrope qui a un impact sur nos perceptions et l’effet addictif qui perturbe le système de renforcement et provoque une dépendance. Le LSD, par exemple, est hallucinogène mais n’a que peu ou pas d’effets addictifs. À l’inverse, la nicotine rend très rapidement dépendant, mais n’altère pas la perception de l’environnement. »

Haro sur la qualité

Gabriel Thorens pratique la psychothérapie assistée par psychédéliques (avec des doses complètes) dans le cadre de thérapies compassionnelles, c’est-à-dire destinées
à des personnes en fin de vie. Le psychiatre émet toutefois quelques réserves sur la pratique du microdosage, car « les substances se trouvent l’heure actuelle uniquement sur le marché noir. À moins que les particuliers ne les fassent contrôler dans un laboratoire, elles ne sont souvent pas sûres, que ce soit en termes de dosage ou de qualité. »

Quant à une utilisation par prescription, Gabriel Thorens note qu’il reste encore beaucoup de recherche à faire pour qu’on puisse déterminer le réel bénéfice de cette pratique, et ainsi l’inscrire dans le cadre d’une thérapie : « avec une dose complète, c’est l’intensité de l’expérience psychédélique qui apporte une plus-value thérapeutique. On suppose donc que dans le cadre du microdosage, la molécule aurait sa propre activité sur le fonctionnement du cerveau. Nous en sommes toujours au stade de l’hypothèse, mais de plus en plus d’études sur le dosage complet avec action psychédélique rapportent que,
pour la dépression chronique par exemple, il pourrait s’agir d’un traitement remarquable. » /

« Il faut faire la différence entre l’effet psychotrope et l’effet addictif »

Témoignage Soraya Cadelli « Depuis l’enfance, je souffre de dépression. Après des années d’errance médicale, j’ai commencé le microdosage de psilocybine, sur le conseil d’une thérapeute. Après avoir échangé avec des chercheurs, le protocole du Dr Fadiman s’est imposé : une prise de 5mg avant 10h tous les 3 jours et selon besoin. Ma santé mentale et physique s’est immédiatement améliorée et je reste sans effets secondaires. Toutefois, l’accès à la psilocybine reste difficile dans un cadre psychiatrique en raison de son statut légal. Ces difficultés ne me découragent toutefois pas et nous sommes de plus en plus nombreuxses à nous organiser. Et ce, avec ou sans le soutien de la psychiatrie classique. »



Partagez:

 
 
 

Anciennes molécules, nouveaux traitements

Depuis plusieurs décennies, les traitements pharmacologiques en psychiatrie tournent essentiellement autour de quatre classes de médicaments  : les neuroleptiques, les thymorégulateurs, les antidépresseurs et les anxiolytiques. Si ces derniers se montrent efficaces dans le traitement d’un large éventail de pathologies, le regain d’intérêt pour d’anciennes molécules, comme le LSD ou la psilocybine, pourrait apporter un souffle nouveau à la psychopharmacologie.