Tendances
Texte: Patricia Michaud
Photo: iStock by Getty Images

L'homéopathie mise à mal

Le débat autour de l’homéopathie reprend de plus belle en Europe, après la décision française de ne plus rembourser ce type de médecine complémentaire. Une piste se dégage pour sortir de la polémique: orienter davantage les pratiques vers la médecine intégrative.

Le granule est amer pour les adeptes de l’homéopathie dans l’Hexagone: le gouvernement a décidé qu’à compter de 2021, l’homéopathie ne serait plus remboursée par la sécurité sociale. Il se range ainsi à l’avis de la Haute Autorité de santé, qui a conclu à l’absence d’efficacité avérée de ce type de médecine douce. Cette annonce, qui a fait couler beaucoup d’encre dans les médias, ne fait pas de la France un cas isolé. En Europe, de plus en plus de pays remettent en question le remboursement des traitements et médicaments homéopathiques.

En Allemagne notamment, les détracteurs des globules et autres granules ont suivi de près le débat chez leurs voisins français. Résultat: un député spécialiste des questions de santé y a appelé à cesser le remboursement par l’assurance maladie. En Espagne, non seulement cette médecine complémentaire n’est plus prise en charge par l’assurance de base, mais les cours d’homéopathie au sein des universités ont été bannis. Rappelons qu’en Suisse, conformément à la votation populaire du 17 mai 2009, les traitements homéopathiques prescrits par un médecin sont remboursés par l’assurance maladie de base.

Contexte de rationalisation des coûts

Pourquoi ce débat enflammé sur l’homéopathie? Certains de ses défenseurs n’hésitent pas à dénoncer une pression de l’industrie pharmaceutique conventionnelle, alertée de voir de plus en plus de patients se tourner vers les médecines complémentaires. Il faut dire que l’homéopathie, pour ne citer qu’elle, génère des recettes non négligeables. Rien qu’en terre helvétique, les ventes totales ont avoisiné les 43 millions de francs en 2017, soit une croissance de 3 à 5% durant les cinq dernières années, selon des chiffres de l’Association suisse pour les médicaments de la médecine complémentaire (ASMC). Ce qui est certain, c’est qu’à une époque où la rationalisation des coûts de la santé est sur toutes les lèvres, l’efficacité des traitements et des médicaments – toutes disciplines médicales confondues – est passée au peigne fin. Et c’est là que le bât blesse pour l’homéopathie: à ce jour, aucune étude scientifique n’est parvenue à établir son efficacité outre l’effet placebo, du moins en se référant aux critères pris en compte par la communauté médicale internationale.

En Occident, c’est un rapport publié en 2015 par le Conseil national de la recherche médicale australien qui sert le plus souvent comme référence en la matière. La conclusion des chercheurs est sans appel: il n’y a aucun problème de santé pour lequel il existe des preuves satisfaisantes de l’efficacité de l’homéopathie. Des résultats qui, plutôt que de calmer les esprits, creusent encore le fossé entre adeptes et détracteurs.

Peter Carp, pédiatre à Yverdon-les-Bains et détenteur d’une attestation de formation complémentaire en homéopathie, rappelle que l’homéopathie est «une médecine d’expérience, très personnalisée, avec ses propres règles».

Dès lors, il est «très difficile d’en prouver l’efficacité en appliquant les mêmes critères que pour la médecine conventionnelle». Quant à Klaus von Ammon, le directeur de la recherche homéopathique de l’Institut des médecines complémentaires de l’Université de Berne, il rend attentif au fait qu’un autre rapport australien, datant de 2012, arrive pour sa part à la conclusion qu’il y a des signes encourageants de l’efficacité de l’homéopathie.

Reste que son efficacité n’est pas le seul aspect de l’homéopathie qui soulève la polémique. De nombreux experts vont plus loin, estimant qu’il s’agit – à l’image d’autres médecines complémentaires – d’une pratique dangereuse, car susceptible de retarder le recours à des traitements conventionnels indispensables au maintien de la bonne santé, voire au maintien en vie.

Une tasse de café par an

«Parfois, les parents de mes patients arrivent avec des attentes un peu irréalistes concernant l’homéopathie», constate Peter Carp. «Je ne la considère pas comme un substitut à la médecine conventionnelle. Je l’utilise comme un enrichissement à ma pratique, susceptible d’apporter un élément de réponse à des défis tels que la résistance aux antibiotiques.»

Le pédiatre observe notamment que de bons résultats peuvent être obtenus pour le traitement des affections courantes touchant les enfants, telles que les troubles digestifs (constipation, régurgitation, vomissements) ou lors d’infections des voies respiratoires à répétition (bronchites, bronchiolites, etc.). En Suisse, de plus en plus de personnes, tous âges confondus, ont recours à l’homéopathie, selon Klaus von Ammon.

D’après le rapport PEK public réalisé par l’Office fédéral de la santé publique en 2005 et dont les résultats sont toujours considérés comme représentatifs, «8 à 12% des habitants du pays prennent des médicaments homéopathiques».

Côté finances, on estime «à une tasse de café par personne et par an les coûts de l’homéopathie dans l’assurance de base, soit 0,1% du total».

Les amateurs suisses d’homéopathie ont-ils du souci à se faire à la suite de la décision française de déremboursement et du débat allemand? A priori, non. Car en vertu de notre système politique de démocratie semi-directe, la volonté des citoyens prime sur les études scientifiques. Mais Klaus von Ammon déplore qu’«alors que la population suisse s’est clairement prononcée pour le remboursement de l’homéopathie en 2009 et que la demande générale pour les médecines complémentaires ne cesse d’augmenter», cette volonté populaire se heurte à «un manque criant de médecins qualifiés». Or, «en l’absence d’accompagnement, de nombreuses personnes se procurent des médicaments homéopathiques "de gré à gré"», avec les risques potentiels que cela comporte: surdosage, interactions avec d’autres médicaments, etc.

Gare à l'automédication

Qu’en est-il au CHUV? «Faute de validation scientifique et de disponibilité à la pharmacie interne», le personnel ne prescrit pas de traitements homéopathiques, explique la Prof. Chantal Berna Renella, responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire du CHUV (CEMIC).

«Si les patients apportent leurs propres médicaments homéopathiques et désirent les prendre, leur médecin vérifie l’absence d’interaction potentielle avec d’autres médicaments, possiblement avec l’aide du CEMIC.»

En effet, «il n’est pas rare que des produits se disant homéopathiques contiennent en fait des substances en concentration suffisamment grande pour être à risque de toxicité». D’où l’importance, conseille la Prof. Berna Renella, de se fournir auprès de laboratoires fiables, sur recommandation d’un médecin ou pharmacien compétent.

La professeure estime par ailleurs qu’il faut distinguer les consultations chez des médecins homéopathes des traitements en automédication. En effet, «les médecins homéopathes sont généralement des thérapeutes qui offrent une prise en charge globale, intégrative, du patient. Dans ce sens, ils ont la même approche que celle prônée par le CEMIC.»

Pour mémoire, la médecine intégrative cherche à «soutenir les efforts du patient pour rester en bonne santé et se prendre en charge lorsqu’il est malade, que ce soit avec des médecines conventionnelles ou complémentaires, pour autant qu’elles soient bien validées». Cette médecine cherche à «comprendre quels sont les besoins en termes de santé du patient pour y faire face en tenant compte de ses croyances, tout en mettant dans la balance les éventuels risques». Une approche qui pourrait contribuer à sortir de la polémique autour de l’homéopathie.



Partagez:

 
 
 

Le placebo fait (presque) l'unanimité

Si l’efficacité de l’homéopathie fait débat, celle de son effet placebo est reconnue bien au-delà du cercle des défenseurs de cette médecine douce. Par effet placebo, on entend la capacité d’une substance à avoir une conséquence positive sur certaines affections, qu’elle soit ou non pourvue de principes actifs. Ainsi, une personne convaincue d’avoir pris un médicament efficace voit dans certains cas ses douleurs ou les symptômes de sa maladie diminuer fortement, voire disparaître. L’effet placebo est attribué à un mélange de causes psychologiques, biologiques et comportementales.

Le pouvoir de la dilution

L’homéopathie a été créée à la fin du XVIIIe siècle par le médecin allemand Samuel Hahnemann. Cette médecine douce est basée sur l’idée qu’un mal peut être traité par la substance même qui le provoque, mais à une dose minime. L’homéopathie consiste donc à donner au malade, à doses très faibles, une substance qui provoquerait, chez une personne en bonne santé, des symptômes comparables à ceux du malade. Cette substance, qui peut être d’origine végétale, animale (venin de serpents, abeilles, encre de seiche, calcaire d’huîtres, etc.) ou minérale/chimique (graphite, soufre, mercure, etc.) est broyée puis mise à macérer dans un solvant afin d’obtenir une teinture mère riche en principes actifs. La teinture mère fait l’objet de plusieurs dilutions et dynamisations (à savoir des mouvements de va-et-vient) avant de devenir un médicament homéopathique. Reste à lui donner une forme, que ce soit des granules, des globules, des gouttes ou encore des poudres.