Prospection
Texte: Sylvain Ménetrey
Photo: Éric Déroze (SAM)

L'art-thérapie en phase d'intégration

La pratique d'activités créatives à des fins thérapeutiques s'étend, notamment dans les hôpitaux. Dans le même temps, les art-thérapeutes sont de plus en plus invités à valider scientifiquement leurs méthodes.

L'art-thérapie a connu un essor important ces vingt dernières années, à tel point que de nombreux hôpitaux en proposent des séances. Au CHUV, un projet pilote lancé en octobre 2017 permet aux patients hospitalisés au sein du Département d’oncologie de bénéficier de plusieurs types de médecine complémentaire, dont l’art-thérapie. «Notre apport prend tout son sens dans un milieu hospitalier, car si le cadre de la démarche est correctement posé, il va permettre d’accompagner les patients dans le vécu de leurs souffrances», remarque Montserrat Ramos Chapuis, art-thérapeute au CHUV. Si la recherche scientifique en est encore à ses débuts, une revue systématique publiée en 2013 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) souligne que l’art-thérapie peut améliorer les symptômes d’anxiété, de dépression et de douleur chez des patients atteints de cancer et qu’elle peut améliorer leur qualité de vie.

Ce recours accru à l’art-thérapie s’inscrit dans un mouvement général de reconnaissance des vertus des médecines complémentaires, notamment pour combattre les effets secondaires d’un traitement médical. Une étude menée en 2012 par une équipe de chercheurs franco-suisses dans différents établissements, dont les HUG à Genève, démontrait ainsi les bienfaits de l’art-thérapie en complément d’un régime chez des adolescents obèses. Selon les chercheurs, les activités d’art-thérapie développent l’investissement dans la vie sociale des adolescents, aboutissant à une amélioration de leur bien-être.

En parallèle à ces bénéfices prouvés pour la santé, la formation d’art-thérapeute, sanctionnée par un diplôme fédéral depuis 2011, s’est approfondie et formalisée. Dispensée par divers instituts de formation, associatifs ou anthroposophes, les modules de cours explorent la thérapie par la danse, par la parole, ou la médiation par les arts plastiques. La formation, qui s’adresse en premier lieu à des détenteurs de diplômes en art, pédagogie ou santé, comprend aussi des cours d’anatomie et de physiologie.

La Haute École de travail social et de la santé à Lausanne propose également une formation en art-thérapie. Marine Métraux se réjouit d’une reconnaissance pour laquelle elle a beaucoup œuvré en tant que présidente de l’association professionnelle des art-thérapeutes suisses: «Nous ne sommes plus relégués dans les sous-sols des hôpitaux et récemment j’ai pu négocier une grille salariale avec les autorités cantonales vaudoises.»

Évaluations renforcées

Les tiraillements d’une activité à la croisée entre l’empirique et le scientifique n’ont pourtant pas complètement disparu. Des professionnels de la santé souhaitent que la discipline se soumette à davantage d’évaluations.

«Dès le moment où vous revendiquez le terme thérapie, il faut s’astreindre à quelques règles», juge Yann Hodé, directeur des services psychiatriques du Jura bernois.

À son arrivée l’an dernier, ce psychiatre a bousculé les habitudes des art-thérapeutes intervenant au sein de l’institution: il leur a demandé d’opérer une distinction entre les activités validées scientifiquement et celles qui peuvent s’assimiler à de la détente. «Il s’agit par ailleurs d’intégrer dans l’évaluation certains facteurs, notamment financiers. Par exemple, certains travaux rapportent que l’interaction avec des dauphins pouvait faire du bien à certains enfants avec autisme, mais pour quelle efficacité et à quels coûts?»

Cette nouvelle exigence scientifique bute parfois sur des résistances, dans une profession majoritairement composée de personnes initialement issues d’un cursus en Beaux-Arts ou en éducation, qui ne possèdent pas forcément les outils pour mener à bien des études scientifiques. À cela s’ajoutent des barrières mentales. «Dans notre milieu, on préfère la subjectivité à l’objectivité scientifique, parce qu’évaluer, c’est porter un jugement. Alors que sur des pathologies spécifiques, bien ciblées, en mettant en place des protocoles et en suivant un programme, nous pouvons obtenir des résultats mesurables», assure Jean-Luc Sudres, directeur d’une formation d’art-thérapie à Toulouse et auteur de plusieurs études en milieu clinique.

Lâcher-prise et imagination

Dans le cas de patientes anorexiques, qui témoignent d’une forte volonté de maîtrise, l’objectif de l’art-thérapie consiste à leur faire vivre des expériences créatives permettant d’assouplir ces mécanismes de défense.

«Ces patientes font souvent des dessins figuratifs sur de petits formats. Nous cherchons à leur faire expérimenter la perte de contrôle en les poussant à s’exprimer sur des formats différents et avec une matière plus difficile à maîtriser comme la peinture», détaille Cristina Anzules, art-thérapeute indépendante à Genève. Ce lâcher-prise et le renforcement de l’imagination qui lui est associé per-mettent aux patientes de gagner en souplesse psychologique.

La gérontologie, les soins palliatifs ou la dépression sont d’autres domaines où les bienfaits de l’art-thérapie sont reconnus scientifiquement.

«En soins palliatifs, notre intention est d’apporter de la quiétude et du bien-être. Ces aspects peuvent être mesurés par la personne, par le thérapeute et par l’équipe de soins, si elle se rend compte qu’elle a moins besoin de donner de médicaments», explique Jean-Luc Sudres.

«Il y a aussi l’idée d’une production qui sera transmise aux personnes qui restent», souligne-t-il.

Outil censé favoriser la transformation de soi par le truchement du symbolique, l’art-thérapie ressemble elle-même à une discipline en mutation. «Le jour où l’art-thérapie deviendra une thérapie à part entière, je ne sais pas si ce sera encore de l’art», se demande ainsi Yann Hodé. Marine Métraux voit plutôt l’éthique de sa profession, qui consiste à ne pas intégrer les productions artistiques des patients dans un circuit marchand, comme le futur de l’ergothérapie. Qu’elle se dissolve dans la psychothérapie ou qu’elle imprègne des pans voisins de la santé de ses principes, l’art-thérapie aura de toute façon amorcé son intégration dans le système de soins officiel.

3 questions à Montserrat Ramos Chapuis

Quels sont vos moyens d’action, les mécanismes que vous faites intervenir selon les problématiques?

La trame des mécanismes lors d’une séance est de permettre à la personne de mettre en scène symboliquement le vécu de sa situation sous forme d’images, de couleurs, de formes ou de mots, à l’aide des matériaux empruntés au monde des arts plastiques. Au fur et à mesure de cette mise en forme va émerger une chaine associative d’images mentales intérieures qui va permettre à la personne de prendre acte de ce qu’elle est en train de mettre à l’extérieur de son propre regard et de celui du soignant. Cette étape va lui permettre de prendre conscience de ce qui l’habite, et parallèlement de prendre de la distance par rapport à sa situation et de la réaménager si besoin. Cet espace d’action sur l’objet créé est un espace de transition qui va aider le patient à mieux maîtriser sa situation et l’autonomiser. Durant ces étapes, je soutiens la personne et l’accompagne aussi bien techniquement que dans l’écoute de son expression verbale.

Comment voyez-vous votre intégration en tant qu’art-thérapeute au CHUV?

Je dispense des soins en art-thérapie pour les patients hospitalisés en oncologie dans le cadre d’un projet pilote. Mes interventions se font généralement au lit du malade, et, lorsque la situation du patient le permet, l'intervention a lieu dans une salle de consultation. Les interventions en chambre demandent une adaptation importante, tant par rapport au matériel qui peut entrer et ressortir d’une chambre d’isolement que par rapport à l’espace de pratique souvent réduit à la grandeur d’une tablette de table de nuit. Le premier bilan de cette expérience est qu’une fois cette adaptation établie, l’apport de la démarche en art-thérapie prend tout son sens dans un cadre hospitalier tel que le CHUV, car quel que soit le contexte, si le cadre de la démarche art-thérapeutique peut être correctement posé, il va permettre d’accompagner les patients dans le vécu de leurs souffrances.

Quelle est votre opinion sur le processus de validation scientifique des méthodes d’art-thérapie, ainsi que sur la formation d’art-thérapeute?

Le milieu académique s’appuie sur la validation des données issues de la recherche scientifique afin de pouvoir justifier une prescription adaptée des traitements. La plupart des recherches en art-thérapie ont été menées dans les pays anglo-saxons, qui sont pionniers dans cette approche. Le champ de l’art thérapie est vaste et je suis d’avis qu’il faut étoffer la recherche en Suisse dans ce domaine afin de cibler encore plus finement les effets escomptés des processus en jeu dans les traitements. Si l’on veut que l’art-thérapie s’inscrive dans une démarche scientifique, il m’apparaît essentiel que les formations puissent également dispenser des cours qui orientent les étudiants vers la recherche.



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«Lors d’une séance, l’idée est d’aider le patient à mettre en scène symboliquement le vécu de sa situation sous forme d’images, de couleurs, de formes ou de mots», explique Montserrat Ramos Chapuis, art-thérapeute au CHUV.

La culture comme lien avec la vie

L’hôpital est plus qu’une «machine à guérir»: c’est aussi un lieu d’accueil. Le programme culturel du CHUV offre ainsi un espace de liberté et de ressourcement.

Le principe de l’art-thérapie consiste à valoriser le processus de création sans tenir compte du résultat final. C’est en ce sens que la discipline se distingue de l’art stricto sensu. Ce dernier s’est pourtant aussi fait une place à l’hôpital. Pionnier dans le domaine, le CHUV propose ainsi un programme culturel ambitieux depuis plus de trente ans: concerts, conférences et expositions avec des artistes de renom. L’institution possède aussi une collection d’art contemporain. «La présence de la culture et de l’art en milieu hospitalier humanise l’hôpital qui est plus qu’une «machine à guérir», pour reprendre les termes de Michel Foucault. Elle apporte une dimension spirituelle, une fenêtre pour l’esprit à des personnes qui vivent des moments charnières. Elle répond aussi à un idéal de démocratisation de la culture», détaille Caroline de Watteville, chargée des affaires culturelles. C’est dans le hall du CHUV que sont accrochées les expositions. Avec une fréquentation d’environ 7’000 personnes par jour, cette «place de la cité hospitalière», comme l’appelle l’historienne de l’art, est un des lieux publics les plus fréquentés du canton. Et cela par toutes les catégories sociales.