Prospection
Texte: Benjamin Keller
Photo: Gaetan Bally / Keystone

Tests de médicaments: "La loi n'est pas en faveur des patients"

L’encadrement des essais cliniques a été renforcé en début d’année par un changement législatif relatif à la recherche sur l’être humain. Ces mesures sont jugées insatisfaisantes.

L'an dernier, 205 essais cliniques de médicaments ont été autorisés en Suisse, incluant chacun des centaines, voire des milliers de participants. Des tests non sans risques: 78 cas d’«effets indésirables graves inattendus» (voir lexique) ont été recensés par Swissmedic, l’autorité suisse de contrôle des produits thérapeutiques. Or les personnes qui prennent part aux études ne sont pas assez protégées lorsqu’elles subissent des effets secondaires graves, juge l’Organisation suisse des patients (OSP).

La nouvelle loi relative à la recherche sur l’être humain (LRH), entrée en vigueur le 1er janvier 2014, a amélioré l’encadrement des essais cliniques de médicaments, grâce notamment à la mise en place d’un registre national et à une meilleure classification en fonction des risques. Elle n’a cependant pas introduit la revendication phare de l’OSP: l’inversion du fardeau de la preuve en cas de dommages.

«La législation n’est pas en faveur des patients, s’insurge la déléguée romande de l’OSP, Anne-Marie Bollier. En cas de complications, il revient au lésé de prouver le lien avec le médicament administré dans le cadre des essais.» Ce qu’indique noir sur blanc le rapport explicatif sur les ordonnances découlant de la LRH. Une «absurdité», critique la responsable: «Le rapport de force avec l’industrie et les assurances est inégal. Les patients n’ont pas 35 avocats payés à l’année pour les défendre.» L’OSP réclame que ce soit à la recherche et à son assurance d’infirmer le
lien de causalité, et non aux participants de le démontrer.

Batailles juridiques

Sans pouvoir fournir de chiffres précis, la présidente de l’OSP Margrit Kessler évoque «plusieurs cas» lors desquels des sujets d’essais cliniques victimes de complications n’ont pas reçu de compensation financière ou ont dû batailler pour être dédommagés. Outre l’intransigeance des assurances et des promoteurs des études, l’OSP dénonce le déni des médecins investigateurs.

Sur son site internet, l’organisation donne des exemples concrets. Tel celui de cet homme souffrant d’un mélanome avancé et qui, ne souhaitant pas subir de chimiothérapie, a participé à un projet de recherche sur la base d’une autre substance. Neuf jours après le début des tests, il est frappé d’une paralysie partielle du visage, effet secondaire jamais mentionné auparavant. Tout lien avec le traitement est d’abord nié par le corps médical. C’est l’épouse du patient, infirmière, qui parvient à le prouver, après une longue procédure. Désormais, et après intervention de la Commission d’éthique, la parésie faciale figure dans le
protocole d’information initial.

«Il est absurde qu’en cas de complications, il revienne à la personne lésée de prouver le lien avec le médicament administré dans le cadre d’essais cliniques»

Du côté des professionnels de la santé, on considère que les garanties pour les patients sont suffisantes. «Je vois difficilement comment mieux protéger les participants, étant donné le nombre de règles et de bonnes pratiques à respecter», lance Bernard Waeber, directeur du Centre de recherche clinique du CHUV. «Avant de se prononcer sur une éventuelle modification du fardeau de la preuve, il s’agit d’abord de tirer les enseignements de la première année d’application de la nouvelle LRH», indique pour sa part Maximiliano Wepfer, responsable suppléant de la communication de la Fédération des médecins suisses (FMH).

Encadrer les tests individuels

Le sort des sujets d’études cliniques de médicaments n’est pas le seul à préoccuper l’OSP. L’association faîtière exige également davantage de protection lors d’essais thérapeutiques individuels. Il s’agit d’une pratique légale, à la condition que le patient donne son «consentement éclairé» et qu’il soit informé correctement. Mais la réalité diffère parfois, relève Anne-Marie Bollier, de l’OSP. «Les patients dont la vie est en danger sont prêts à essayer n’importe quoi et l’information n’est pas toujours optimale», constate-t-elle.

L’OSP a demandé en vain que les essais thérapeutiques individuels soient inclus dans la nouvelle LRH. «Nous voulons que la loi oblige à conserver une trace écrite de ce que savait le patient au moment de tester le traitement», précise Anne-Marie Bollier. L’organisation a remporté une demi-victoire: suite à ses doléances, l’Académie suisse des sciences médicales a mis en consultation des directives relatives à la distinction entre thérapie standard et thérapie expérimentale, incluant notamment des règles précises quant aux informations à fournir aux patients. La déléguée salue cette avancée tout en restant prudente: «Cela permet au moins de bénéficier d’un texte de référence en cas de contestation devant les tribunaux.»



Partagez:

 
 
 

Termes clés

1. Essai clinique

Etude réalisée sur l’être humain et visant à vérifier la sécurité, l’efficacité ou d’autres propriétés d’un produit thérapeutique
(par exemple d’un
médicament) clinique.


2. Promoteur

Personne ou institution qui prend l’initiative d’un essai clinique.


3. Investigateur

Personne responsable
de la réalisation pratique d’un essai clinique (par exemple un médecin).


4. Effet indésirable grave inattendu

Réaction novice (qui entraîne la mort, met en danger la vie ou encore nécessite une hospitalisation prolongée) inattendue liée à l’emploi d’un médicament expérimental lors d’un essai clinique.


5. Essai
thérapeutique individuel

Expérimentation d’une thérapie non standard (par exemple d’un
médicament non autorisé) dans le cadre d’une
consultation individuelle.