Innovation
Texte: Andrée-Marie Dussault

Des méthodes toujours plus sophistiquées contre le dopage

À partir de l’urine et du sang des athlètes, différentes techniques sont utilisées pour identifier la potentielle présence de produits dopants. Sans cesse plus sensibles, celles-ci rendent la tricherie plus difficile. Trajectoire d’un échantillon au sein du Laboratoire suisse d’analyse du dopage.

Bienvenue au Laboratoire suisse d’analyse du dopage du Centre universitaire romand de médecine légale. Ici travaillent des expertes en chimie, biologie, pharmacie et sciences forensiques, comme Nicolas Jan. Dans le monde, une trentaine de laboratoires de ce type sont accrédités par l’Agence mondiale antidopage pour faire un travail bien particulier. « Sur les 11 infractions établies par cette structure, nous nous concentrons principalement sur la première : détecter les substances interdites destinées à augmenter les capacités physiques ou mentales d’un athlète dans un échantillon de sang ou d’urine fourni par un sportif », explique le chercheur.

Les échantillons analysés sont fournis par une fédération sportive internationale ou nationale, ou une agence antidopage et sont anonymes, relève-t-il. À partir du moment où il reçoit un kit d’urine ou de sang, le laboratoire a vingt jours pour rendre les résultats au partenaire. Les kits reçus sont composés de deux conteneurs. Le premier échantillon est utilisé pour l’analyse, le second est conservé intact, en cas de contestation par l’athlète.

500 substances interdites dans 100 microlitres

Dans un premier temps, l’intégrité de l’échantillon
est contrôlée, pour s’assurer qu’il n’a pas été manipulé. Ensuite, l’échantillon est séparé en sous-échantillons, afin de subir plusieurs types d’analyses chimiques ou biologiques. Pour ce faire, les échantillons doivent d’abord passer par une phase de purification, où ils sont débarrassés de tout ce qui pourrait interférer dans le processus d’analyse. « Lors de cette étape, on part d’un volume relativement grand, pouvant aller jusqu’à 15 ml, pour se retrouver finalement avec moins de 100 microlitres », détaille Nicolas Jan. Ces opérations peuvent prendre jusqu’à une semaine. Une série de tests standards de dépistage est appliquée à tous les échantillons. Ce contrôle permet de détecter quelque 500 substances interdites. « Selon le sport et les demandes de nos clients, ou s’il y a des suspicions envers un athlète, nous pouvons réaliser des tests supplémentaires. »

Comme le nombre de substances qui doivent être recherchées est substantiel, une première phase d’analyses dites « rapides » permet d’exclure tous les échantillons négatifs, c’est-à-dire ceux qui ne contiennent aucune trace de substance prohibée. « Tandis que pour ceux qui présentent une suspicion, on repart de l’échantillon initial et on fait une analyse de confirmation en utilisant une méthode analytique dédiée spécifiquement à la substance que nous suspectons. » Si tout va bien, ce dépistage prend environ une semaine. Les instruments d’analyse fonctionnent 24 heures sur 24, avec une cinquantaine d’échantillons testés à la fois.

Ensuite, les résultats sont lus et interprétés par deux personnes indépendantes. Puis le résultat final est validé par la direction du laboratoire avant d’être rendu auà la cliente qui en notifiera l’athlète. « Si le résultat est positif, soit celui-ci l’acceptera et sera sanctionné : quatre ans de suspension pour une première infraction ou exclusion à vie pour une seconde, soit il contestera et pourra demander l’analyse du deuxième échantillon », signale-t-il, spécifiant que dans le monde, entre 1 et 2% des échantillons testés contiennent des substances interdites.

En plus des analyses chimiques, le Laboratoire suisse d’analyse du dopage effectue des recherches afin de suivre certaines variables biologiques chez les athlètes. « Ces suivis permettent de mettre en évidence d’éventuelles variations, notamment au niveau sanguin au cours du temps. » Ces valeurs sont inscrites dans le passeport biologique de l’athlète. Ce système, développé au Laboratoire suisse dans les années 2000 et introduit par l’Agence mondiale antidopage en 2009, permet de révéler indirectement des pratiques de dopage. « Certaines substances ou méthodes de dopage ne peuvent pas être détectées directement ; par exemple la transfusion sanguine autologue (un athlète qui se réinjecte son propre sang), mais des marqueurs indirects peuvent le mettre en évidence. »

Dopage ou contamination ?

La complexité du contrôle du dopage repose principalement sur les « micro-dosages », di∞cilement détectables ou des substances qui ne circulent pas encore sur le marché et pour lesquelles aucune méthode n’est encore implémentée dans les laboratoires. Nicolas Jan rappelle le scandale qui a secoué l’entreprise Balco, au début des années 2000, aux États-Unis, qui produisait une substance dopante indétectable aux contrôles, consommée par des athlètes de très haut niveau.

À l’inverse, la sophistication des méthodes de détection complique le processus. « Les techniques pour repérer les substances interdites sont devenues si sensibles qu’il devient parfois di∞cile de distinguer s’il s’agit de produits dopants ou d’une contamination, explique Patrik Noack, médecin-chef de Swiss Cycling et de Swiss Athletics et Health Performance O∞cer de l’équipe olympique suisse. Si l’athlète consomme de la viande d’animaux d’élevage ou des produits végétaux traités avec des médicaments ou des produits chimiques, ces substances peuvent apparaître lors des tests. » Le spécialiste évoque aussi les contraintes liées à cette pratique. « Les athlètes du pool de contrôle international doivent se rendre disponibles pour un test une heure par jour, souvent très tôt le matin. Ceci peut être contraignant quand on est en phase d’entraînement intensif. »

En 2021, quelque 2200 tests ont été commandités par la Swiss Sport Integrity, le centre de compétences suisse de lutte contre le dopage, indique son directeur, Ernst König. Il précise qu’un contrôle coûte en moyenne 1000 francs. Le nombre de tests dans chaque sport est fixé selon une analyse des risques. « Puis une équipe de scientifiques sportifs détermine quels athlètes tester à l’aide de différents critères comme les performances, les résultats ou les analyses précédentes. » Les stratégies scientifiques antidopages ont beaucoup évolué, confirme-t-il. « Le clivage entre les méthodes pour tricher et celles pour détecter les substances interdites a diminué de façon notoire. » Il relève par ailleurs que même s’il y a toujours de nouvelles substances sur le marché, celles utilisées il y a vingt ans – notamment les stéroïdes – le sont encore aujourd’hui.

Contrairement aux pays voisins comme la France, l’Allemagne ou l’Italie, l’autodopage n’est pas punissable en Suisse, note-t-il. Un postulat parlementaire a mandaté le Conseil fédéral pour qu’il se penche sur la question. « Le statut de Swiss Olympic concernant le dopage, fondé sur le Code mondial antidopage de l’AMA, relève du droit privé ; il faudrait évaluer, entre autres choses, s’il serait juste que l’athlète soit puni deux fois. » /



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Au niveau mondial, les sports les plus touchés par le dopage sont le culturisme (22% des infractions en 2019), l’athlétisme (18%) et le cyclisme (14%).

Les substances dopantes les plus fréquemment dépistées dans le monde sont les stéroïdes anabolisants, stimulants, diurétiques et agents masquants.