Innovation
Texte: Séverine Géroudet

Jouer pour se soigner

Les «serious games» commencent à s’imposer auprès des patients et des soignants. L’offre s’étoffe en Suisse, portée par des hôpitaux et hautes écoles.

En savoir plus:

Dans une ville fictive, Alex Londres mène l’enquête. Il doit retrouver le professeur Birman, un scientifique qui a été kidnappé. Les énigmes se succèdent, et le héros, diabétique, doit surveiller sa glycémie tout au long de son aventure. Disponible sur la plateforme en ligne Gluciweb, ce jeu vidéo, baptisé «L’affaire Birman», est un support d’éducation thérapeutique pour l’insulinothérapie.

Le joueur dispose d’un stylo à insuline, d’un glucomètre – appareil permettant de mesurer le taux de glucose dans le sang –, d’une réserve de sucre et de diverses collations.

Tout en gérant la glycémie de son personnage au fil de l’intrigue, le patient diabétique se familiarise avec son propre traitement.

«L’affaire Birman» est un serious game. Le terme désigne un programme qui utilise le principe du jeu pour atteindre un objectif sérieux, comme éduquer ou informer. «Les serious games existent depuis de nombreuses années, notamment dans le domaine du management, mais ce n’est que récemment qu’ils ont fait leur entrée dans la sphère médicale, relève Dominique Jaccard, directeur de l’équipe de recherche d’Albasim, un laboratoire de la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) qui développe des serious games dans divers domaines.

L’intérêt d’une approche ludique a mis du temps à intégrer le domaine de la santé, à cause de nombreux a priori sur le côté jeu, qui pour beaucoup ne pouvait pas s’allier à un propos sérieux.»

DAVANTAGE DE MOTIVATION

Ces supports séduisent de plus en plus la formation médicale. «Nous essayons de mêler enseignement traditionnel et serious game, indique Dominique Truchot-Cardot, médecin et professeure ordinaire HES à la Haute école de santé La Source, à Lausanne.

Nos étudiants font partie de la génération des digital natives et sont friands de ce genre de programmes qui les mobilisent et les motivent.» Ces logiciels permettent notamment aux étudiants de se confronter de manière virtuelle à des situations réelles du métier. Référence en la matière, le jeu américain «Pulse!» est l’un des premiers serious game conçu pour le domaine médical. Les futurs médecins doivent y prendre les bonnes décisions pour sauver la vie d’un patient virtuel.

L’école La Source utilise actuellement un serious game développé en collaboration avec le laboratoire Albasim. Il s’agit d’un jeu sur l’évaluation clinique cardiaque. Une simulation virtuelle confronte le joueur à un patient qui arrive aux urgences avec une douleur dans la poitrine. «Le programme a pour objectif de développer la capacité à prendre en charge le patient de manière globale, explique Dominique Jaccard, directeur du laboratoire. Le joueur peut poser des questions à son patient et lui faire passer des tests. Il doit ensuite interpréter les résultats pour déterminer les actions à effectuer.»

Cette approche ludique s’avère également fructueuse auprès des patients. Elle permet aux malades de s’impliquer davantage dans leur traitement et booste leur motivation et leur observance. «On assiste actuellement à un changement de paradigme, relève Dominique Truchot-Cardot. Les patients souhaitent devenir acteurs de leur santé et gagner en autonomie. Les soignants doivent aujourd’hui s’adapter à cette demande et l’intégrer dans leurs pratiques.»

LA LUTTE CONTRE LE CANCER À TRAVERS UN JEU

«That dragon cancer» est un jeu développé par Ryan Green autour du combat de son jeune fils Joel contre le cancer. Ce «serious game» explore le quotidien de l’enfant face à la maladie et les épreuves que sa famille affronte avec lui. Le joueur interagit avec les soignants et les membres de la famille dans le but de l’aider pendant son traitement. Le projet a été développé autour d’un texte de la maman de Joel, écrit pour expliquer la maladie de son fils à ses quatre jeunes garçons. La famille Green a non seulement voulu partager son vécu, mais aussi permettre aux malades et à leurs proches traversant la même épreuve de mieux appréhender la maladie.

Beaucoup de ces jeux vidéo «sérieux» ciblent les jeunes patients souffrant d’une maladie chronique, comme le diabète ou le psoriasis, pour leur permettre d’apprivoiser leur traitement ou de mieux vivre leur maladie au quotidien. Souvent disponibles en ligne ou téléchargeables, ils constituent un bon support pour le traitement à domicile.

Le plus souvent, ils proposent une synthèse du comportement thérapeutique du joueur, exportable vers le médecin référent. Les enfants ne sont pas les seuls concernés, les serious games s’adressent également aux adultes ou aux personnes âgées. De nombreux programmes sont notamment développés pour prévenir les chutes des aînés. D’autres permettent aux proches de mieux appréhender la maladie de l’être aimé, comme le jeu «That Dragon Cancer».

DÉMOCRATISATION

Certains jeux, initialement conçus sans «intention sérieuse», sont également détournés pour poursuivre un but thérapeutique. On parle alors de «serious modding» ou «serious diver- ting». La «Wii Fit Board», un accessoire de la console Wii de Nintendo, s’est par exemple révélée être un outil intéressant pour la rééducation motrice.

La physiothérapeute et chercheuse à la Haute école de santé de Genève, Lara Allet, a mené une étude sur l’apport de ce support dans la guérison des entorses de cheville et la prévention des récidives. «La Wii Fit Board contient plusieurs jeux efficaces pour la rééducation, explique-t-elle. Elle permet de varier les exercices et de motiver davantage certains patients. Cependant, il ne s’agit que d’un complément. Il nécessite un suivi médical et ne peut pas se substituer au traitement.»

Actuellement l’offre en matière de serious game provient surtout de l’étranger. Un problème dans certains cas, notamment lorsque les règles et protocoles de soins diffèrent d’un pays à l’autre. Certains supports ne peuvent donc pas être utilisés en Suisse. Mais l’offre helvète se développe de plus en plus. «Les technologies évoluent et le coût de développement diminue. Il a été divisé par cinq en dix ans, relève Dominique Jaccard. La conception de serious game va s’accroître.» Développés jusqu’à aujourd’hui en grande partie par des laboratoires pharmaceutiques, les jeux disponibles sur le marché sont encore coûteux et protégés par des licences, «mais cela est en train de se démocratiser, indique Dominique Truchot-Cardot. Les hautes écoles et les hôpitaux se mettent à développer leurs propres serious games pour améliorer la formation ou le traitement et la prise en charge des patients.» ⁄



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À CHAQUE JEU SON «INTENTION SÉRIEUSE»

Le domaine de la santé utilise différentes formes de «serious games»:

ADVERGAMING

Objectif

prévenir et sensibiliser.

Exemple

«Ce soir il conclut», destiné aux jeunes de 18 à 25 ans, présente les risques liés à la consommation excessive d’alcool.

EXERGAMING

Objectif

Entraîner et rééduquer..

Exemple

exemple: «Voracy fish», programme ludique de rééducation post-AVC. Le joueur incarne un petit poisson qu’il dirige avec son bras.

IMMERSIVE GAMING

Objectif

Immerger le joueur dans un contexte virtuel pour le confronter à une situation concrète.

Exemple

Dans «Ludomedic», le patient est plongé dans le monde de l’hôpital pour se familiariser avec cet univers.

HEALTH CARE GAMING

Objectif

Eduquer et former.

Exemple

«Théo et les psorianautes» a pour objectif d’aider les enfants atteints de psoriasis à bien vivre avec cette maladie.