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Texte: Bertrand Tappy

Petite histoire des visites à l'hôpital

La possibilité pour la famille de se rendre au chevet d’un malade n’a pas toujours été une évidence. Retour historique sur une pratique qui a beaucoup évolué au cours des siècles.

Lorsqu’en octobre 2020, le CHUV décide d’interrompre les visites de proches pour des raisons de sécurité sanitaire liées au covid, la décision semble logique, presque évidente. Mais on ne peut que remarquer le paradoxe qu’une telle mesure soit prise au moment où il a été acquis de manière indiscutable que voir ses proches améliore grandement la situation des patients.

Accueillir, mais séparer

Il aura en effet fallu de nombreux siècles pour en arriver là. Les traitements de l’époque antique se faisaient à domicile ou sur les champs de bataille et au Moyen-Âge, les hospices n’accueillaient pas beaucoup de visites de proches. «Les établissements de soins médiévaux remplissaient plusieurs missions, précise Vincent Barras, de l’Institut des humanités en médecine: accueillir les pèlerins, répartir l’aumône et soigner les pauvres qui étaient malades. Certains établissements cumulaient les trois fonctions, mais ce n’est qu’au XIXe siècle que l’hôpital fut finalement lié à l’Etat, qui y voyait un outil essentiel de prise en charge médicale de la population.»

L’hôpital médiéval – inspiré en grande partie par ce que les Croisés avaient pu découvrir dans les pays musulmans, bien plus avancés – n’est donc pas encore à proprement parler un lieu de soins strictement médicaux. En accueillant essentiellement les pauvres et les orphelins, il s’occupe avant tout du «salut de leur âme». Et dans ce cadre où l’on s’occupe des gens mis à l’écart, les visites de proches ne sont pas une préoccupation cruciale. «L’hôpital à l’ancienne remplit une fonction de contrôle de diverses catégories de la population, tout en subvenant à leurs besoins essentiellement hôteliers et alimentaires, rappelle Vincent Barras. C’est d’ailleurs de là que viennent les fameux «vins des hospices», que l’on boit encore aujourd’hui, ainsi que certaines terres, dédiées alors à l’agriculture, qui sont encore en possession des hospices cantonaux aujourd’hui.»

Du côté lausannois, c’est en 1760 qu’est fondé le premier véritable hôpital, au sens moderne du terme, ouvert aux malades démunis. Les soins sont accordés à tous. «Les besoins sont pris en charge tant par la direction de l’hôpital que par les proches – qui apportent le cas échéant la nourriture et les bûches de bois pour le feu, et peuvent donc venir au chevet des malades, mais de manière régulée», poursuit Vincent Barras.

Subvenir aux besoins de tous

Depuis deux siècles environ, l’hôpital est devenu un endroit où l’on entre et dont on sort de manière régulière, avec des espaces de plus en plus cloisonnés en fonction de l’évolution des techniques et des thérapeutiques. L’hygiène hospitalière va rapidement prendre de l’importance, pour devenir une préoccupation cruciale telle que nous la connaissons aujourd’hui. Un essor marqué par l’importance grandissante de la technologie et des savoirs: rapport technique au corps du patient, explication scientifique des différents phénomènes de la maladie... Le mariage parfois mouvementé des origines religieuses de l’hôpital à l’ancienne et des aspirations scientifiques de l’hôpital moderne se transforme en intégrant des notions comme les «microbes», ce qui va exercer une influence déterminante sur la façon dont les proches seront désormais tolérés dans le bâtiment hospitalier.

Retourner dans la ville

«La question de la déshospitalisation a également agité – et agite toujours – le monde médical, continue Vincent Barras. Accompagnant l’amélioration de nos connaissances, toute une liste d’hôpitaux spécialisés ont été créés: maternité, gériatrie, orthopédie, hôpital des aveugles... Le monde hospitalier est aujourd’hui une longue série de cas particuliers. Et derrière l’évolution des traitements, c’est aussi le visage de l’hôpital qui est modifié pour tenir compte des questions d’aération, de nettoyage et d’accès. La situation sanitaire actuellement liée au covid apporte également son lot de nouvelles mesures. L’hôpital est, et demeurera, un lieu à risque pour le développement des infections.».

Mais il serait faux de penser que l’histoire de l’hôpital est une lente progression, linéaire et régulière. «Au contraire, il s’agit plutôt d’un proces- sus par discontinuités, argumente Vincent Barras. L’hôpital actuel pense bien sûr à l’importance des visites des proches. Mais nous assistons aujourd’hui à un retour partiel vers la situation d’avant l’hôpital moderne, avec l’augmentation des consultations sur le terrain, ou encore les soins à domicile. Telle est la logique qui prévaut aujourd’hui: garder le contact avec ses proches et son environnement, et réduire au minimum le temps d’hospitalisation pour que le malade puisse retourner rapidement chez lui.»

Un phénomène toujours étudié

Les répercussions positives liées aux visites de proches (sauf cas particulier) font aujourd’hui la quasi-unanimité au sein de la communauté médicale. Et puisque les connaissances scientifiques se sont améliorées, il est possible d’adoucir plus rapidement qu’auparavant – mais toujours progressivement – les conditions de visite, en faisant mieux circuler les informations au sein de la communauté scientifique.

Depuis le mois d’octobre 2020, les conditions de visites aux patients en soins intensifs ont pu être réintégrées, tout en respectant scrupuleusement les règles sanitaires. «Nous ne procédons pas à un arrêt complet des visites. Celles-ci restent cependant en règle générale limitées en nombre (1 personne par patient) et en durée (environ 1 heure), avec une attention particulière portée au respect des gestes barrières, explique Thierry Szostek, infirmier-chef de service au Service de médecine intensive adulte du CHUV. En fonction de certaines situations (fin de vie, gravité de la situation, durée de séjour longue), les critères sont moins restrictifs.»

Depuis la première vague, les outils technologiques ont également été mis à contribution pour maintenir le lien entre les patients – le plus souvent âgés – et leurs proches. Les tablettes tactiles ont ainsi été utilisées pour envoyer des images aux proches en soins intensifs, et cer- taines d’entre elles ont même été prêtées à des seniors dans le cadre d’une étude*. Menée entre autres à l’Unité de soins aigus de gériatrie, dirigée par la Dre Patrizia D’Amelio, l’étude devrait livrer ses premiers résultats au moment où nous bouclons le magazine. «Nous allons évaluer l’anxiété moyenne, le ressenti de la douleur et la peur de mourir des personnes privées de visites qui utilisent les appels vidéo pour garder le contact, et faire de même avec ceux qui n’utilisent que le téléphone», expliquait Patrizia D’Amelio dans le journal 24 Heures. Le processus est toujours en marche.../

*«Fighting against Social Isolation in times of pandemic Covid-19: the role of technology in Elderly patients».

Personnel et patients alités, Véranda de l'Hôpital cantonal, Lausanne. Vers 1900- 1910. Crédit : Collection de l’Institut des humanités en médecine, CHUV-UNIL.

Salle de l’hôpital de Johannesburg (Afrique du Sud), vers 1905. Wellcome Collection. Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Salle de l’hôpital de Johannesburg (Afrique du Sud), vers 1905. Wellcome Collection. Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Infirmières et patients dans une salle du Royal United Hospital, Bath (Angleterre), vers 1870. Wellcome Collection. Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Une salle de l’Hôtel-Dieu, Paris, vers 1500. Gravure tirée de : Les édifices hospitaliers depuis leur origine jusqu'à nos jours : De l'assistance publique et des hôpitaux jusqu'au XIXe siècle [Casimir Tollet]. Wellcome Collection. Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)

Manuscrit enluminé de la fin du 15e siècle, écrit par Jehan Henry († 1483). Cette enluminure évoque une salle de malades typiquement médiévale. Crédit : Musée AP-HP Sous licence Creative Commons



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