Décryptage
Texte: Audrey Magat

Sortir du silence

Les troubles de l’audition touchent près de 15% de la population suisse. Ils sont souvent tabous, malgré leurs conséquences sur l’épanouissement social et personnel des individus. Témoignages et conseils.

Sept ans, c’est le nombre d’années qu’attendent, en moyenne, les Suisses et Suissesses avant de consulter pour des troubles de l’audition. Et seulement 50% des personnes atteintes décident de traiter ce problème. « Les troubles de l’audition sont encore tabous parce qu’ils sont associés à la vieillesse dans l’imaginaire collectif, explique Mercy George, médecin spécialisé en otologie – spécialité médicale consacrée aux affections et anomalies de l’oreille et de l’audition – au CHUV. C’est pourtant tout à fait commun, comme les troubles de la vue, qui eux ne souffrent pas des mêmes préjugés. »

En Suisse, 1,3 million de personnes sont malentendantes, selon Pro Audito Suisse, organisation indépendante qui aide les personnes ayant une déficience auditive. La perte auditive arrive en cinquième position au classement des maladies qui affectent le plus la qualité de vie selon l’OMS, qui dénombre 1,5 milliard de personnes atteintes d’un trouble de l’audition dans le monde.
« Les déficiences auditives entraînent des problèmes au niveau des relations interpersonnelles », explique Heike Zimmermann, codirectrice de Pro Audito Suisse. « Les difficultés d’interactions peuvent devenir problématiques, créer des malentendus, et l’effort mis à l’écoute peut frustrer et épuiser. Les capacités à travailler et voyager sont également réduites. Au niveau sécurité également, les alarmes et les bruits de la circulation non perçus mettent en danger. Finalement, ces freins provoquent souvent un isolement social. »

Mercy George met par ailleurs en garde contre les risques psychologiques d’une perte auditive non traitée. « Les pertes auditives ont un impact social très important. Les personnes atteintes se retirent socialement, ce qui peut entraîner des dépressions et des solitudes profondes. La situation est particulièrement alarmante chez un enfant qui n’exprimera pas forcément son sentiment de solitude. » Pour les reconnaître, la médecin conseille de rester attentif aux indices comme « l’impression que l’entourage marmonne, qu’il faut augmenter le son de la télévision, ou lorsque l’on peine à comprendre les autres au restaurant. »

Reconnaître les signes pour agir

L’oreille se compose de trois parties : l’oreille externe, qui comprend le pavillon et le conduit auditif avec le tympan, l’oreille moyenne avec les osselets, puis l’oreille interne avec la cochlée, les canaux semi-circulaires et le nerf auditif. Les aides auditives constituent une solution intéressante pour les personnes souffrant d’une perte auditive due à des problèmes d’oreille interne. Ces appareils, placés à l’intérieur ou à l’extérieur de l’oreille, amplifient les vibrations sonores afin qu’elles puissent être entendues plus clairement.

Lorsque l’atteinte est plus importante et que les aides ne fonctionnent plus, les implants cochléaires peuvent être envisagés. Un dispositif électronique est alors placé chirurgicalement à l’intérieur de la cochlée afin de stimuler directement le nerf auditif. La chirurgie et la prise en charge médicale sont des options possibles pour les problèmes touchant les autres parties de l’oreille. « Un appareil auditif adapté est la meilleure solution actuellement, confirme Heike Zimmermann. Il existe
également des appareils complémentaires, et apprendre la lecture labiale peut améliorer la compréhension d’environ 30%. »

La perte d’audition peut avoir plusieurs origines : des causes infectieuses (bactériennes ou virales), une accumulation excessive de cérumen dans le conduit auditif, des otites répétées dans l’enfance, le tabagisme, la prise de certains médicaments et les traumatismes sonores (professionnels ou récréatifs). Plus généralement, elle est due à la vieillesse. Selon l’OMS, les oreilles commencent à vieillir à 30 ans. À 60 ans, plus d’un tiers des personnes sont touchées par une perte d’audition. À 70 ans, ce sont deux personnes sur trois, puis le taux dépasse les 80% passé 80 ans. « Avec l’évolution démographique et la génération des baby-boomers, la surdité liée à l’âge va devenir un sujet majeur ces prochaines années », ajoute la codirectrice de Pro Audito. En outre, économiquement, les déficiences non traitées coûtent 6,3 milliards de francs par an en Suisse, dont près des deux tiers est due à la baisse de la qualité de vie des personnes concernées selon une étude publiée en 2020 par Pharmapro, plateforme d’offres d’emploi pour les métiers de la pharmacie en Suisse.

La blessure des acouphènes

Les acouphènes sont des bruits parasites comme des bourdonnements, des grésillements, des chuintements ou
des sifflements, qui sont perçus sans qu’il y ait de stimuli extérieur. En Suisse, ils touchent 10 à 18% de la population, de tout âge et sont d’une gravité variable, allant de la gêne à la surdité unilatérale ou bilatérale. Les atteintes chroniques touchent 4% de la population adulte. « On les surnomme ‹ les pleurs de la cochlée ›, explique Mercy George. Dans 60% des cas, la cause est claire, que ce soit une infection ou plus généralement une blessure liée à un son trop fort, par exemple via des écouteurs. Dans les 40% restants, leur cause est idiopathique, c’est-à-dire qu’elle n’a pas de cause définie. Leur apparition est alors plutôt liée à des facteurs comme le stress. »

Le musicien Alain Frey souffre d’acouphènes depuis 20 ans. Une problématique qui touche 10 à 18% de la population suisse.

Alain Frey est musicien professionnel. Il produit et joue de la batterie avec son groupe Elvett. Pour lui, les acouphènes sont apparus il y a une vingtaine d’années : « Après avoir travaillé pendant des heures, je suis allé à un concert, l’ambiance de la soirée était bruyante. Je me sentais particulièrement fatigué par le son, le lendemain matin j’ai eu un acouphène qui n’est jamais parti. » Le batteur a dû arrêter de se produire sur scène pendant certaines périodes. « C’était un déchirement, mais je dois préserver ma santé. Dans le monde de la musique, les acouphènes ont été tabous pendant longtemps. Ce n’était pas rock de baisser le son et de se protéger du volume. » Mais le son d’une caisse claire sur une batterie est particulièrement bruyant : allant jusqu’à 120 décibels, ce son équivaut à celui d’un marteau-piqueur.

Le musicien genevois entend un bruit blanc très aigu dans les deux oreilles. « Du réveil au coucher, je perçois ce bruit parasite. Il faut apprendre à vivre avec, à l’ignorer, autrement c’est extrêmement irritant et épuisant. De mon expérience, l’anxiété et la fatigue ont tendance à empirer la situation. »

Les acouphènes sont sans danger mais peuvent provoquer un inconfort majeur, entraînant parfois des insomnies ou des maux de tête, voire des dépressions. Il n’existe, dans la majorité des cas, pas de traitement, car les dommages causés à l’oreille interne sont irréversibles : une fois blessée, l’oreille ne se répare pas. « Je me sens démuni, le mal est fait », ajoute le musicien. Les acouphènes entraînent aussi une hyperacousie, ce qui signifie que la perception des sons est plus forte que la normale. « Les bruits du quotidien peuvent devenir un supplice. On ne se sent jamais au repos, tout agresse », témoigne le musicien de 51 ans.

Renforcer la prévention chez les jeunes

Pro Audito Suisse conseille à chacune de prendre soin de son audition et de ne pas hésiter à passer des tests auditifs. L’association demande aussi que toutes les vidéos et émissions de télévision soient sous-titrées ainsi que l’accessibilité des contenus des manifestations et discours publics.

George Mercy appelle également à une meilleure prévention : « La fragilité de l’audition est complétement négligée, or il est possible de la préserver avec des gestes simples, par exemple en gardant un volume à maximum 60% dans les écouteurs, et en utilisant des protections d’oreilles lors de concerts ou d’événements bruyants. » Le musicien du groupe Elvett appelle lui aussi à davantage de prévention et recommande de faire attention au volume dans les écouteurs intra-auriculaires qui dirigent le son directement sur le tympan. Un mode de vie sain, accompagné d’un bon contrôle de l’hypertension et du diabète, contribue également à maintenir
une bonne qualité auditive. /



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Bruit parasite

La chanteuse belge Angèle souffre d’acouphènes chroniques, un « deuil du silence » qu’elle décrit dans sa chanson « J’entends ».

Pas de coton-tige

La sécrétion de cérumen dans le conduit auditif est normale. Les cotons-tiges sont à éviter puisqu’ils risquent de créer des bouchons ou d’irriter l’oreille.

Oser demander de l’aide

Des associations comme Pro Audito, Pro Senectute ou encore la fondation Forom écoute accompagnent les personnes dans leur perte d’audition. Elles offrent des explications et des conseils pratiques.

Remboursement

Les problèmes d’audition constatés par un médecin donnent droit à une contribution financière de l’AVS pour obtenir un appareil auditif. Pour plus de renseignements, s’adresser à l’organe AI de votre canton.

Gare à l’ototoxicité

Certains médicaments comme les antituberculeux, les médicaments anti-tumoraux, certains antibiotiques ou encore l’aspirine peuvent provoquer des altérations des fonctions auditives. Il est donc essentiel de parler de vos troubles de l’audition à votre médecin pour éviter les interactions délétères.