Décryptage
Texte: Laurent Perrin

Sida, ce vaccin qui n’arrive jamais

Après quarante ans de recherche, aucun vaccin contre le sida n’est disponible sur le marché. La technologie ARN utilisée contre le Covid-19 pourrait changer la donne, mais c’est aussi sur la visibilité des personnes vivant avec ce virus qu’il faut agir.

Depuis quarante ans, près de 32 millions de personnes sont décédées du sida, autrement dit de l’affaiblissement du système immunitaire provoqué par une infection au VIH*. À ce jour, sept vaccins ont été testés pour lutter contre ce rétrovirus (voir encadré). Mais le plus prometteur, testé en Thaïlande il y a une dizaine d’années, présentait une protection de seulement 31%. La principale difficulté pour s’attaquer au VIH concerne le développement d’anticorps neutralisants. « Ces anticorps n’apparaissent que plusieurs années après l’infection au VIH et chez seulement 10% de la population concernée, explique Barton Ford Haynes, médecin et immunologiste américain, dans un article récent paru dans la revue scientifique Nature. Alors que dans le cas du Covid-19, des anticorps se développent dix jours après une infection ou deux semaines après la vaccination. »

Le développement rapide du vaccin contre le Covid-19 a été facilité par un contexte relativement favorable, souligne Matthieu Perreau, professeur associé au Service d’immunologie et allergie du Centre hospitalier universitaire vaudois . « Tout est allé très vite car le milieu de la recherche a appris des épidémies précédentes du SRAS** et du MERS***. Mais aussi parce que de nouvelles stratégies vaccinales étaient prêtes, issues notamment de la recherche sur le VIH. »

Une fois mis au point, un vaccin doit franchir plusieurs étapes indispensables avant d’être validé par les autorités médicales. Il faut d’abord s’assurer de son innocuité (absence de nocivité), puis de son immunogénicité (capacité à induire une réponse immunitaire), et enfin de son efficacité (capacité à empêcher l’apparition de la maladie liée à une infection). « Le problème avec le vaccin contre le VIH, c’est que l’on a du mal à générer une réponse immunitaire appropriée. »

Une autre différence majeure entre le virus du VIH et celui du Covid-19 concerne l’apparition de variants. Ceux liés au Covid-19 n’échappent pas totalement à la protection vaccinale. Mais le VIH mute si rapidement, qu’il peut échapper à la pression exercée par le système immunitaire en quinze jours.

Il existe aujourd’hui une variété de VIH, que l’on distingue par une nomenclature complexe composée de « types, de groupes et de clades », ces derniers étant des ensembles formés par un organisme particulier et sa descendance. Un vaccin contre le VIH présente donc la tâche complexe de protéger contre cette incroyable diversité. En outre, quelques jours après l’infection, le VIH possède la capacité de persister dans l’organisme en se dissimulant dans certaines cellules, qui agissent alors comme un réservoir pour le virus. Cette opération permet au VIH de résister non seulement à la pression exercée par le système immunitaire mais également à un traitement antirétroviral. « Le vaccin contre le VIH doit donc également frapper vite et fort pour empêcher la formation de ce réservoir », souligne Matthieu Perreau.

Invisibilité médiatique

La stigmatisation et la discrimination des personnes vivant avec le VIH ont depuis fait l’objet de nombreuses études. Pour combattre les idées reçues, et faire connaître les avancées en la matière, David Jackson-Perry, chargé de mission à l’Antenne de la consultation des maladies infectieuses du CHUV, travaille au quotidien avec ces personnes et leur entourage. Il rappelle ainsi la règle du i = i, pour indétectable = intransmissible : une personne sous traitement – sa charge virale est alors indétectable – ne peut pas transmettre le virus. Mais seulement 4% de la population en est convaincu, d’après une récente étude de la National AIDS Trust, une organisation non gouvernementale basée au Royaume-Uni. Ces personnes peuvent par ailleurs espérer avoir une durée et une qualité de vie comparables à celle de la population générale. Malheureusement, conclut le spécialiste, « les représentations médiatiques ont de la peine à évoluer.
C’est un sujet encore très tabou. On ne voit pas de films ou de séries qui traitent de personnes vivant avec le VIH de nos jours. »

Ces représentations obsolètes aboutissent à des comportements inappropriés. David Jackson-Perry cite l’exemple d’un patient hospitalisé pour une autre maladie, et dont le soignant demande devant d’autres patients : « Alors, vous avez pris vos antirétroviraux? » Ou encore ce physiothérapeute qui reçoit un patient pour un mal de dos, et qui, informé - sans raison apparente - que son patient vit avec le VIH… enfile des gants avant de le soigner.

Politique de l’autruche

Pas de quoi cependant perdre son optimisme. « Je suis persuadé que l’on trouvera un jour un vaccin contre le VIH. Cela pourrait passer par l’éducation du système immunitaire via l’administration séquentielle de différents vaccins. Nous pourrions ainsi envisager de forcer le système immunitaire à générer des anticorps neutralisants extrêmement efficaces. »

Selon l’expert, les vaccins à ARN messager (ARNm), comme ceux mis au point contre le Covid-19, sont particulièrement prometteurs. « Leur emploi pourrait permettre des administrations répétées sans perte d’immunogénicité. » Par définition, les vaccins à ARNm ne génèrent pas de réponse contre le vecteur, puisqu’il n’y en a pas. « On peut donc en théorie recevoir autant d’administrations que nécessaire. C’est une approche totalement nouvelle. » Un premier essai de vaccin ARNm contre le VIH a été lancé cet été par l’entreprise américaine Moderna (voir encadré).

Ce retard dans la recherche autour d’un vaccin contre le VIH s’explique aussi par l’image négative qui a longtemps été associée à cette maladie. « Alors que l’on commence à parler du sida dès 1981, le président américain Ronald Reagan attendra quatre ans avant d’employer ce mot en public », rappelle David Jackson-Perry. La raison de ce décalage vient, selon lui, du fait que « les personnes les plus touchées par le virus proviennent de communautés déjà stigmatisées par ailleurs ». Il s’agit des fameux 4H, pour homosexuels, héroïnomanes, Haïtiennes et hémophiles, auxquels on peut ajouter les travailleurs et travailleuses du sexe. « Le fait qu’il n’y ait toujours pas de vaccin contre le sida s’explique aussi par un manque de volonté politique au départ. » /

* Virus de l’immunodéficience humaine

** La pandémie du syndrome respiratoire aigu
sévère (SRAS) est apparue en Chine en 2002.

*** Le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) a été découvert en 2012. C’est une forme de coronavirus qui provoque une pneumonie aiguë.



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Matthieu Perreau détaille les obstacles au développement au vaccin contre le VIH. Il est professeur associé au Service d’immunologie et allergie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV/UNIL).

Rétro­virus

Ce type de virus est capable d’intégrer son génome dans celui de son hôte. Le virus du sida peut donc s’exprimer via cette cellule hôte durant toute sa durée de vie. Ce processus permet au virus de se multiplier dans le corps et affaiblit le système immunitaire de la personne touchée. Elle souffre ainsi d’immunodéficience et ne peut plus lutter contre les différents virus qu’elle attrape.

Propa­gation

Le virus du sida a d’abord été identifié chez des singes, dans la région du Congo, au début du XXe siècle, avant d’être transmis à l’homme aux alentours de 1950. Dans les décennies qui suivent,
le virus et ses différents variants migrent dans toutes les régions du globe. En 2020, 37,7 millions de personnes vivaient avec le VIH dans le monde dont 1,7 million de personnes qui ont attrapé le virus dans l’année. Depuis son apparition, 36,3 millions de personnes ont perdu la vie à cause de cette maladie.

Vaccin à ARN messager

L’entreprise américaine de biotechnologie Moderna, désormais connue pour son vaccin
à ARN messager contre le Covid-19, compte
employer cette même technologie contre le VIH. Le vaccin permettra de fournir aux cellules le code génétique des protéines du virus du sida. Le système immunitaire peut ainsi les reconnaître et produire des anticorps qui lutteront contre le virus lors d’une éventuelle infection. Moderna vient de lancer une étude qui devrait livrer ses résultats finaux d’ici à 2023.