Décryptage
Texte: Andrée-Marie Dussault

Quand la télémédecine atteint ses limites

Les consultations médicales à distance ont augmenté de 70% en 2020, du fait de la pandémie. Porteuses d’atouts certains, elles ne conviennent cependant pas à toutes les spécialités médicales.

Au même titre que le télétravail, la télémédecine est en plein essor. Si, jusqu’à récemment, on l’associait aux « déserts médicaux » qu’elle permet de servir (voir « Les soins mobiles, partager pour économiser ? », In Vivo n° 13), ses champs d’application se sont multipliés de façon exponentielle. De la prévention au suivi d’un patient en passant par la pose d’un diagnostic, la télémédecine est aujourd’hui partout : demande d’avis médical par tchat, consultation par visioconférence, nouveau dossier électronique du patient, séance de rééducation à l’aide de la réalité virtuelle… Le marché digital – peu encadré – est en plein développement.

Des disciplines pionnières

Membre du comité central de la Fédération des médecins suisses (FMH) et responsable de son Département numérisation/ eHealth, Alexander Zimmer fait valoir que diverses offres de services spécifiques se sont développées ces dernières années, comme la téléradiologie (consultation et interprétation d’images radiologiques ou échographiques à distance), la télédermatologie (interprétation rapide de lésions cutanées à distance) ou encore la télécardiologie (suivi à distance de patients porteurs d’un stimulateur cardiaque) : « Ces disciplines ont été pionnières car elles permettaient, plus que d’autres, de fournir des prestations standardisées de haute technologie », affirme le spécialiste, rappelant au passage que selon l’American Telemedicine Association (ATA), la télémédecine consiste en « l’utilisation d’informations médicales échangées d’un site à un autre par le biais de la communication électronique afin d’améliorer l’état de santé clinique d’une ou d’un patient-e ».

C’est évidemment le Covid-19 qui a généralisé son usage. D’après la FMH, les consultations à distance ont augmenté de 70% en 2020 par rapport à 2019. Et selon l’enquête de l’institut de recherche gfs.bern publiée début juin, plus d’un quart (26%) des médecins de cabinet indiquaient avoir fourni des prestations de soins au moyen de la télémédecine au cours des trois derniers mois.

Garder le lien

« La pandémie a permis d’exploiter le potentiel de la télémédecine et d’en confirmer l’intérêt », constate Anne-Sylvie Diezi, responsable de l’information du patient au Service de communication et de création audiovisuelle du CHUV. La professionnelle a supervisé au printemps 2020 le projet « Garder le lien », une série de courts reportages tournés dans divers services de l’établissement (médecine interne, soins intensifs, centre de dialyse, etc.) pour montrer comment le personnel soignant s’était adapté à la situation, en mettant en place des solutions pour rester en contact avec les patient-e-s et leurs proches, et assurer le suivi de la prise en charge à l’aide de la technologie. « Malgré une certaine appréhension initiale, au final, les patientes et patients étaient plutôt satisfaits des nouveaux outils technologiques, essentiellement parce qu’ils ont permis de garder un lien. »

Les services traitant de maladies chroniques comme l’Unité de diabétologie pédiatrique, où les patient-e-s sont très impliqués dans la gestion de leur santé au quotidien, ont particulièrement bénéficié de la télémédecine pendant la pandémie.

Certains instruments technologiques pourraient d’ailleurs demeurer utiles à l’avenir.

« Plusieurs unités envisagent le maintien de certaines activités à distance sur le moyen-long terme », dit Anne-Sylvie Diezi. C’est l’exemple du café virtuel organisé pour les patient-e-s de rhumatologie, alternative que l’équipe voyait comme un pis-aller. Or, les participantes et participants se sont révélés ravis de la formule. « Dans certains cas, c’était même très positif, comme pour les personnes plus vulnérables aux contagions pour qui ne pas devoir utiliser les transports publics était rassurant. » En ce qui concerne les patientes et patients qu’elle a rencontrés, même s’ils ont signalé que voir les professionnel-le-s en présentiel demeure important, Anne-Sylvie Diezi a constaté que ce qui compte avant tout est le lien patient-soignant, quelle que soit sa forme. « Ce n’est pas tant la rencontre en présentiel ou à distance qui importe, mais la qualité de la relation. »

Pendant la pandémie, la télémédecine a ainsi permis d’éviter des déplacements, des risques de contagion et la surcharge des hôpitaux.

Un gain de confort, mais aussi de temps et parfois d’argent, en bénéficiant d’un avis médical tout aussi valable que lors d’une consultation classique.

Le « présentiel » demeure indispensable

Sylvie Berney, médecin cadre au Service de psychiatrie générale du CHUV, estime néanmoins que si la téléconsultation peut être une ressource dans certaines circonstances, elle ne remplacera pas le contact direct. « Habituellement, en psychiatrie, la téléconsultation se pratique sur indication, de façon ponctuelle et non pas de routine », explique-t-elle, indiquant qu’en mars 2020, les le personnel consultant du Département de psychiatrie a dû s’adapter rapidement à cette manière de faire. L’intérêt de la visioconférence, dans le contexte spécifique du coronavirus, a été de pouvoir assurer le suivi des patient-e-s d’autant plus que la pandémie générait un stress supplémentaire pour des personnes déjà en difficulté, précise-t-elle.

D’un sondage effectué auprès de 282 professionnelles et professionnels du Département de psychiatrie du CHUV ayant pratiqué la téléconsultation dans ces circonstances, il ressort que la qualité des entretiens est impactée, notamment en ce qui concerne les aspects de l’évaluation fine de l’état psychique des patients, relève Sylvie Berney.

La médecin insiste aussi sur l’importance de pouvoir garantir le respect de la confidentialité des consultations. « Si un patient vit avec d’autres personnes et qu’il n’a pas un lieu où s’isoler pour la consultation, cela peut être problématique. »

Dans sa profession, l’interaction, la rencontre et l’espace où se discutent des choses personnelles et où chacun-e doit se sentir en sécurité sont très importants, soutient Sylvie Berney. « On gagne peut-être du temps avec la télémédecine mais, dans la balance, cet avantage ne pèse pas suffisamment lourd pour généraliser cette pratique en l’absence de critères d’indication. » Elle comprend son intérêt dans la pratique de routine, dans les régions isolées où il faut parfois des heures pour rejoindre un spécialiste. « Mais ici, où il existe une médecine de proximité, où nous travaillons en réseau avec l’entourage familial, social et professionnel de chaque personne, le présentiel est fondamental et précieux. »

Alexander Zimmer, de la FMH, souligne encore que, dans le cas de téléconsultations, la tenue du dossier médical, les dispositions suisses en matière de protection des données, le secret professionnel et le devoir de diligence des médecins « doivent impérativement être assurés ». L’éventail des possibilités qu’offre la télémédecine est donc bien loin d’être épuisé, estime-t-il, en spécifiant cependant que ni les patient-e-s ni le corps médical ne sont favorables à son utilisation exclusive. /



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3%

L’examen par un professionnel-le-s de la santé avec conseil télémédical n’est
considéré comme la meilleure option que par 3% des médecins.

11%

Selon un sondage réalisé par la FMH fin 2020, 11% des Suisses sont prêts à remplacer le contact direct avec le médecin par une consultation vidéo.