Décryptage
Texte: Robert Gloy

À la recherche du meilleur hôpital

Le CHUV figure parmi les dix meilleurs hôpitaux du monde, selon un classement publié en début d’année. Un coup de pub dont l’impact est difficile à évaluer.

Tous les ans, les recherches menées au CHUV sont récompensées de plusieurs prix prestigieux. Mais au début de 2019, c’est l’établissement dans son ensemble qui a obtenu une véritable reconnaissance internationale. En mars, le magazine américain Newsweek a en effet publié une liste des dix meilleurs hôpitaux du monde, dans laquelle le CHUV se retrouve en 9e position (la première place est occupée par la Mayo Clinic du Minnesota, aux États-Unis). Ce classement, le premier du genre pour le magazine, a été établi en collaboration avec l’entreprise allemande Statista, qui est spécialisée dans l’analyse et la représentation de statistiques. Ce bon résultat a été repris dans de nombreux médias dans le monde entier. «Se voir cité parmi les hôpitaux les plus prestigieux du monde est une vraie reconnaissance du travail accompli au quotidien par les professionnels et nous offre une visibilité importante à l’international», se réjouit Béatrice Schaad, directrice de la communication du CHUV.

Pour évaluer les performances de 1’000 hôpitaux, Newsweek et Statista se sont basés sur trois critères: les avis de patients recueillis par les assurances, des indicateurs de qualité et de sécurité des soins comme le nombre de patients par médecin, et les résultats d’un sondage mené parmi plus de 40’000 professionnels de la santé dans 11 pays. Sur cette base, le magazine a d’abord établi des classements par pays, pour ensuite créer le classement des dix meilleurs hôpitaux du monde. Pour ce dernier, il a privilégié les avis des 40’000 médecins, infirmiers et administrateurs sollicités en ligne. Les hôpitaux primés peuvent acheter s’ils le souhaitent le logo «World’s Best Hospitals 2019» afin de l’utiliser pour des campagnes de marketing. Toutefois, Felix Kapel, analyste principal chez Statista, n’a pas souhaité divulguer le nombre d’hôpitaux qui ont saisi l’opportunité (le CHUV n’a pas acheté ce logo).

Le modèle des palmarès universitaires

Dans le milieu académique, ce type de classement est plus commun. Tous les ans, les regards se braquent sur quatre d’entre eux: le classe-ment de Shanghai, les Times Higher Education World University Rankings (THE), le classement mondial des universités QS et le CWTS Leiden Ranking. Entre les universités les plus prestigieuses du monde, comme Cambridge, Harvard ou Stanford, la bataille est rude pour arriver en tête de ces classements. Qu’en est-il de l’Université de Lausanne (UNIL)? «Nous jouons le jeu et fournissons des données aux organismes qui établissent les classements, mais sans obsession», admet Denis Dafflon, directeur du Service des relations internationales.

Pourtant, l’université vaudoise y fait bonne figure. Dans le classement de Shanghai, elle se situe dans les 150 meilleures, tout comme dans les THE. Mais les grandes différences entre les critères pris en compte pour chaque classement (le classement de Shanghai, par exemple, donne une plus grande importance aux prix Nobel, d’autres fonctionnent sur la base de sondages qui évaluent la qualité de l’enseignement et de la recherche) rendent difficile une analyse précise.

«Nous essayons d’identifier les raisons pour lesquelles nous gagnons des places ou pour lesquelles nous perdons des places, mais vu le nombre de critères pris en compte, c’est souvent difficile à savoir. Il est possible de perdre 30 places d’une année sur l’autre sans que la qualité de la recherche et de l’enseignement ait baissé», explique Denis Dafflon.

Ce dernier estime aussi qu’une bonne position dans ces classements n’assure pas de pouvoir attirer les meilleurs chercheurs. «Ils regardent d’autres critères avant de faire leur choix, comme les autres chercheurs déjà présents dans l’institut ou les avis des pairs.» Concernant les étudiants, ce seraient surtout ceux venant d’Asie qui y prêteraient beaucoup d’attention. «De toute façon, en Suisse, la qualité des universités est très homogène. Dans les pays avec de fortes différences comme aux États-Unis, ces classements ont plus de sens», juge Denis Dafflon.

Soigner la réputation d'un hôpital

Dans un service public comme un hôpital, qui n’a pas vocation à attirer des patients, quel impact de tels classements peuvent-ils avoir? Depuis 21 ans, le CHU Toulouse figure dans les trois premiers hôpitaux de France, selon le classement annuel de l’hebdomadaire Le Point. Cette édition très attendue permet au magazine de doper ses ventes, tandis qu’il offre une forte visibilité aux hôpitaux bien placés. Comme cela a été le cas pour le CHUV, les jours suivant la publication du classement de 2018 – dans lequel le CHU Toulouse a figuré en tête –, cette actualité a été reprise dans presque 500 articles de presse, allant jusqu’à une interview télévisée sur une chaîne nationale française.

Marc Penaud, directeur général du CHU Toulouse, confirme l’importance de ce classement pour la réputation de l’établissement: «Il donne une image positive de la qualité des équipes médicales et soignantes, de la qualité des organisations et de notre capacité à innover.» Par contre, l’hôpital ne se donne pas d’objectifs.

«Nous ne travaillons pas en fonction de ce classement. Nous n’en maîtrisons d’ailleurs pas les critères d’évaluation», souligne Marc Penaud.

Comme Newsweek, Le Point utilise plusieurs sources composées d’avis de patients, de données objectives et de recommandations des professionnels pour établir son classement.

Concurrence accrue

Marc Penaud nuance l’impact du classement en termes d’attractivité de l’hôpital comme employeur ou sur les partenariats externes: «L’attractivité du CHU Toulouse vis-à-vis des professionnels et des patients est le fruit de nombreux facteurs, bien plus profonds que le classement.» Cependant, comme les universités, les hôpitaux se soucient de plus en plus de leur réputation. En Suisse, cette situation s’est accentuée avec la mise en place du nouveau financement hospitalier en 2012. Celui-ci stipule que 45% des prestations stationnaires des hôpitaux sont financées par les caisses maladie et 55% par les cantons, peu importe qu’elles soient fournies dans un hôpital public ou privé – instaurant ainsi une certaine concurrence. L’un des symboles de cette nouvelle donne a été le lancement en 2015 du comparateur des hôpitaux hostofinder.ch, qui permet aux particuliers de choisir le «meilleur hôpital» en fonction de leurs besoins.

Pour Anne-Geneviève Bütikofer, directrice de l’association H+ Les Hôpitaux de Suisse, les établissements helvétiques ont dû s’adapter: «Ces dernières années, le marketing et la communication se sont professionnalisés dans les hôpitaux et les cliniques, gagnant ainsi en importance. Il existe également un besoin accru de transparence et d’information de la part du public. Les mesures de qualité et de sécurité des soins ainsi que les classements ne peuvent toutefois montrer qu’une partie du spectre d’activités d’un hôpital. Les hôpitaux et les cliniques sont par exemple trop différents dans leurs structures pour être comparés les uns avec les autres.»



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Le nombre de professionnels de la santé sondés par Newsweek et Statista afin d’établir le classement des dix meilleurs hôpitaux du monde.

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