Décryptage
Texte: Alexia Nichele
Photo: 2018 Affolter / Rüfenacht, Bern

La douleur prise au sérieux

Auparavant considérées comme conséquences d’une pathologie, les douleurs sont aujourd’hui reconnues comme des maux à part entière, qui nécessitent des traitements personnalisés.

Maux de dos, douleurs neurologiques ou d’origine cancéreuse: environ 20% de la population européenne souffre de douleurs chroniques qui empoisonnent leurs vies, selon une étude de la Pain Alliance. Elles sont aujourd’hui considérées comme des affections à traiter de manière spécifique.

Les centres médicaux dédiés à la prise en charge de la douleur se multiplient, privilégiant une approche pluridisciplinaire qui mêle médicaments et physiothérapie, relation thérapeutique et médecines complémentaires telles que l’acupuncture ou l’hypnose. Malgré des progrès réalisés ces dernières années, l’efficacité des traitements reste cependant limitée dans certains cas, notamment parce que la douleur est un mécanisme complexe qui entraîne un ressenti forcément subjectif.

Une autre conception de la douleur

La conception même de la douleur comme ressenti individuel constitue un premier changement. «À la suite d’un stimulus douloureux dans le corps, le cerveau va interpréter ce signal en fonction d’expériences passées, du contexte, de l’humeur, mais aussi de la culture ou de l’éducation», explique Yolande Kottelat, responsable du Programme institutionnel douleur du CHUV, créé en 2007.

«Notre rôle en tant que professionnels est de légitimer cette subjectivité et d’adopter des stratégies individualisées.»

Aujourd’hui, la définition universelle de la douleur (voir ci-contre) relève d’ailleurs un aspect émotionnel, au même titre que sensoriel.

Difficile donc d’objectiver les souffrances. Mais là n’est pas le but. «Nous acceptons que chaque personne soit différente devant la douleur, même si l’on ne comprend pas toujours pourquoi, souligne Marc Suter, médecin associé au Centre d’antalgie du CHUV. Souffrir inutilement est considéré comme inacceptable.» Bien que les patients bénéficient d’une écoute améliorée, les outils thérapeutiques à disposition restent parfois insuffisants. «Les douleurs chroniques, en particulier neuropathiques, sont spécialement résistantes aux traitements connus.» Quant aux résultats obtenus dans le cadre de la recherche, leur application clinique reste peu satisfaisante.

La règle de la communication

«Dans la mesure du possible, nous encourageons le patient à donner un maximum d’informations sur sa douleur, et ce, dès le début de sa prise en charge», précise Yolande Kottelat. Pour cela, différents outils d’évaluation ont été développés, à commencer par des échelles verbale, visuelle et numérique, de 0 à 10. Plus récemment, ce sont des schémas permettant de localiser la douleur et un questionnaire servant à lui attribuer des qualificatifs, aussi bien sensoriels (sensation de brûlure, d’irradiation, etc.) qu’émotionnels (inquiétante, obsédante, etc.) qui ont été introduits. Pour les patients incapables de communiquer, l’observation de signes cliniques tels que la fréquence cardiaque, la dilatation des pupilles ainsi qu’une échelle comportementale peut être utilisée.

Lorsque la douleur est chronique, les professionnels de la santé s’accordent à dire que l’efficacité d’un traitement s’évalue également selon son impact sur la qualité de vie, et non uniquement sur l’intensité de la souffrance. L’anxiété, la dépression et la qualité de vie sont systématiquement analysés: les retentissements sur le quotidien d’une personne sont reconnus dans leur totalité.

«Le patient peut être pris dans un cercle vicieux, ajoute la responsable. L’anxiété, le stress ou le manque de sommeil augmentent la douleur et vice-versa.»

Un vrai chemin de croix: près de la moitié des patients dépressifs présentent des douleurs et jusqu’à 40% des douloureux chroniques connaissent des phases dépressives. «Il est crucial de soulager la personne le plus rapidement possible afin d’éviter une cascade d’effets néfastes.» Un risque supplémentaire est en effet de prolonger l’hospitalisation pour les patients qui se remettent d’une intervention chirurgicale.

Le médicament n'est pas la seule solution

Jusqu’à 10% des patients développent une douleur handicapante après une chirurgie. Pour diminuer les douleurs postopératoires, des pompes spéciales permettent notamment au patient de contrôler lui-même l’administration de morphine ou d’anesthésique local par voie intraveineuse, péridurale ou périnerveuse. Depuis plusieurs années, l’échographie permet d’injecter un médicament anesthésiant ou de poser un cathéter de manière beaucoup plus précise.

En complément d’un traitement médicamenteux, de physiothérapie ou d’une psychothérapie, d’autres armes existent pour atténuer les maux, aigus ou persistants. Les infiltrations ciblées, l’acupuncture, les thérapies de relaxation (yoga ou méditation) ou la neurostimulation électrique sont aussi des alliées de choix. Les patients pratiquant l’hypnose gèrent mieux leur douleur et reçoivent moins de médicaments. Outre ces soins non exclusifs, la relation thérapeutique est primordiale: lorsque cette relation est au beau fixe, le corps et l’esprit réagissent positivement à l’acte médical en lui-même. C’est un des constituants du fameux effet placebo.

Les médicaments antalgiques demeurent toutefois en tête du protocole de traitement, suivant les paliers d’intensité définis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Adjuvants largement prescrits en cas de douleurs neuropathiques, certains antidépresseurs et antiépileptiques diminuent de 50% la douleur chez un patient sur trois seulement, selon une étude de médecins de l’Association internationale d’étude de la douleur (IASP). Ils présentent toutefois moins de risques d’addiction que les opioïdes. Par ailleurs, peu de médicaments analgésiques véritablement innovants ont été développés ces quinze dernières années. «De nouvelles cibles médicamenteuses sont nécessaires, tout comme l’amélioration de la prévention», remarque Marc Suter.

Aider les patients à exprimer leur douleur quand les mots viennent à manquer: c’est le but du projet «Dolografie» réalisé l’an dernier par deux graphistes bernoises. Il est composé d’un set de 34 cartes illustrant chacune une sensation.

Sur la bonne voie

Chaque année, l’Association internationale d’étude de la douleur (IASP) lance une campagne mondiale contre la douleur. En 2017, c’est la lutte contre la douleur postopératoire, qui touche l’ensemble des patients opérés, qui était au centre de l’attention. Plus généralement, la médecine de la douleur est devenue une médecine holistique, qui prend en compte le bien-être général du patient. «Nous sommes sur la bonne voie, estime Yolande Kottelat. Nous cherchons encore à élargir l’arsenal thérapeutique, tout en conservant une approche adaptée à chaque personne.» En 2018, le thème de la campagne de l’IASP est l’éducation au sens large. Cela implique de mieux former les soignants et les patients, mais aussi d’informer les politiques et les décideurs de la nécessiter d’améliorer encore la prise en charge de la douleur et de poursuivre la recherche pour mieux la comprendre.



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Définition officielle

La douleur varie en forme, en intensité et en durée. De nombreuses définitions ont été formulées, mais il existe bel et bien une définition universelle de la douleur. L’Association internationale d’étude de la douleur (IASP) la définit en effet comme «une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à des lésions des tissus, réelles ou potentielles, ou décrite en des termes évoquant de telles lésions».

Douleur aiguë

La douleur aiguë est un symptôme provoqué par une stimulation potentiellement nocive. Elle est considérée comme utile à l’organisme, car elle joue un rôle d’alerte en réponse à un danger de blessure potentiel ou réel, ou tout autre processus pathologique. Sa prise en charge immédiate et intensive, à la suite d’une opération par exemple, réduit les risques de développer une douleur chronique.

Douleur chronique

La douleur est considérée comme chronique lorsqu’elle persiste au-delà de trois mois. Elle peut être de nature inflammatoire (provoquée par de l’arthrose, par exemple) ou neuropathique (due à la lésion nerveuse). Les douleurs de type neuropathique sont les plus difficiles à traiter, car elles répondent relativement mal aux traitements antalgiques, même puissants. Certains antidépresseurs ou antiépileptiques sont utilisés dans ces situations. Les douleurs chroniques touchent environ un cinquième de la population et détériorent gravement la qualité de vie des personnes qui en souffrent. À paraître en mai 2018, la 11e classification internationale des maladies prévoit pour la première fois de faire des douleurs chroniques un diagnostic.