Chronique
Texte: Anne-Marie Moulin
Photo: Canva

La quarantaine, entre angoisse et consentement

Anne-Marie Moulin Médecin et philosophe, directrice de recherche émérite au CNRS

La crise sanitaire liée au Covid-19 a obligé de nombreux États à instaurer des mesures de… quarantaine. Au siècle dernier, ces dernières ont été jugées archaïques, symboles d’ignorance, même si en sourdine des mesures d’isolement avaient encore cours, en cas d’épidémies ou de maladies contagieuses comme les tuberculoses ultrarésistantes.

Originellement, la quarantaine désigne un système de surveillance autour de la Méditerranée, destiné à prévenir la peste du Levant. Raguse/Dubrovnik en 1383 et Venise en 1423 ont pris l’initiative de n’admettre des navires au débarquement qu’après un délai d’observation en cas de suspicion. Pourquoi ce terme de « quarantaine » ? Le chiffre symbolique suggère une parenté entre impureté et infection : quarante jours pour la purification des accouchées lors des relevailles, ou pour la sortie du deuil et de la souillure de la mort. Ce système de surveillance s’appuyait sur des lazarets autour de la Méditerranée. Pièces maîtresses du dispositif sanitaire, il s’agissait de prisons souvent situées sur une île, flanquées d’uneadministration chargée de vérifier les passeports sanitaires des bateaux.

Malgré leurs défauts, les quarantaines ont probablement limité les catastrophes et on leur attribue le déclin de la peste en Europe au XVIIIe siècle.

Précisément au tournant du XIXe siècle, la génération révolutionnaire des médecins autour de François Broussais a contesté le principe de la contagion et les quarantaines. Disciple de François Broussais, le Dr Clot, à l’École de médecine du Caire, lors de la peste de 1835, s’est fait inoculer en public du pus de bubon pesteux. Il prône la diète et le stoïcisme, face aux fatalistes et aux tenants de la contagion.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les quarantaines ont été relancées face au choléra venu d’Asie. Pas moins de dix conférences internationales entre 1851 et 1903 ont discuté des quarantaines à opposer au nouveau fléau et aussi à la fièvre jaune. En 1893 est signée à Dresde une convention internationale sur les quarantaines à l’égard des voyageurs et des marchandises.

Comment juger les mesures de confinement actuelles ? En promouvant l’isolement au domicile, assorti d’une surveillance médicale, la médecine moderne n’a pas seulement évité une terminologie angoissante, elle a voulu instaurer un nouvel ordre rationnel reposant sur une meilleure connaissance des paramètres biologiques, comme le temps d’incubation de la maladie et de la contagiosité, et sur un respect du consentement des intéressés. Par contre, les mesures de confinement actuelles dévoilent et aggravent les inégalités sociales. À l’après-corona d’en tirer des conclusions. /



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Biographie

Anne-Marie Moulin est directrice de recherche émé- rite au CNRS. Elle a notamment publié Le Médecin du Prince, Voyage entre les cultures (Odile Jacob). Elle a enseigné, entre autres, à la Faculté de médecine de l’Université de Genève entre 1991 et 1994