Chronique
Photo: Serge Picard

Claude Halmos: "La vie sociale peut rendre malade"

En savoir plus:

"Est-ce que les hommes vivent? Faire face à la crise et résister" Editions Fayard, 2014.

Chacun peut aujourd’hui parler sans (trop de) craintes des souffrances psychologiques qui lui viennent de sa vie privée. Evoquer ses difficultés de fils, de fille, de parent, d’amant… Ces douleurs ont acquis dans notre société une place légitime.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Avant que, dans les années 1990, ceux que l’on nomme désormais toutes catégories confondues les «psys» envahissent les médias, ces problèmes étaient tabous (nul n’aurait, par exemple, osé faire état publiquement de ses difficultés sexuelles). Les «douleurs privées» s’exposent aujourd’hui et parfois même s’étalent à la «une» des magazines. Les temps ont bien changé…

Mais un autre tabou est apparu. Et il concerne désormais les souffrances issues de la vie sociale. Celles – parfois colossales – que des millions d’hommes et de femmes aujourd’hui endurent. Non pas du fait de leur vie privée, de leur histoire personnelle ou de leur enfance, mais à cause de ce que la société les oblige à subir. Une société ravagée par une crise économique si lourde que, tandis qu’elle confronte les uns à l’épreuve du chômage et de la pauvreté, elle fait vivre tous les autres dans la peur – voire la terreur – de ce chômage, de l’appauvrissement, du
déclassement, quand ce n’est pas de la précarité.

Comment expliquer un tel silence sur les problèmes psychologiques individuels engendrés par cette situation (et sur leur complexité)?

En comprenant qu’il a pour origine essentielle une méconnaissance théorique. Nous vivons en effet dans l’idée – implicite mais dominante – que les êtres humains se construiraient dans leur vie privée et qu’ils «auraient» un jour, de surcroît, une vie sociale. Partant de là, les atteintes à la vie sociale sont supposées porter préjudice à leurs «avoirs» mais en aucun cas à leur être. Ce qui est faux.

Les êtres humains sont des êtres doubles. Ils ont ce que l’on pourrait appeler (même si le terme est impropre) une «double colonne vertébrale psychique», mi-privée, mi-sociale, dont la partie sociale se construit pour l’enfant dès l’école. Car il va acquérir, là, une nouvelle image de lui-même, une nouvelle appréhension de sa valeur, etc. qui vont dès lors coexister avec celles qu’il avait déjà construites auparavant dans sa vie familiale.

Touché dans sa vie sociale, l’être humain est donc blessé – voire détruit – dans la moitié de son être. Atteinte gravissime qui explique l’augmentation notable en temps de crise du taux des dépressions et des suicides. Et qui justifie l’urgence d’une prise en charge.



Partagez:

 
 
 

Profil

La psychanalyste française Claude Halmos est spécialiste de l’enfance. Auteure de multiples ouvrages sur le sujet tels que Pourquoi l’amour ne suffit pas ou L’autorité expliquée aux parents, elle intervient régulièrement sur France Info et dans Psychologies Magazine.

A lire

«Est-ce ainsi que les hommes vivent? Faire face à la crise et résister.»

Editions Fayard, 2014.