Chronique
Texte: Allen Frances
Photo: IMAGETRUST

Allen Frances, professeur de psychiatrie à l’Université Duke

L’intérêt croissant pour les neurosciences dessert vivement les patients atteints de maladie mentale.

Les neurosciences vivent leur âge d’or: les connaissances en la matière ne cessent de croître et l’outillage à disposition est d’une sophistication qui dépasse toutes les attentes. Les patients atteints de maladies psychiatriques ne bénéficient pourtant pas de ces progrès.

Le cerveau est la machine la plus complexe qui soit et ne révèle ses secrets que par bribes. Mais plus on en sait sur son fonctionnement, moins on comprend ses failles. Autrement dit, les découvertes faites dans le domaine des neurosciences ne nous aident pas à comprendre les troubles mentaux. Car chaque trouble mental est la manifestation de centaines de processus pathologiques impliquant l’interaction du cerveau avec son environnement physique, psychologique et social.

D’ailleurs, malgré des efforts considérables et coûteux, on ne sait toujours rien d’utile sur la pathophysiologie des troubles mentaux. Et il n’existe aucun examen biologique pour les diagnostiquer. Leur référencement se fera petit à petit, minutieusement et difficilement sur des dizaines d’années, sans que cela engendre des découvertes époustouflantes.

En finançant et en soutenant en priorité les futures découvertes, on ignore honteusement les besoins criants des patients. Aux Etats-Unis, les ressources considérables du National Institute of Mental Health (NIMH) sont exclusi-vement dédiées aux neurosciences. Son portefeuille de recherche est désespérément limité en matière d’essais cliniques et ne compte que très peu d’études psychosociales. Cet institut promet de résoudre les énigmes futures des neurosciences sans se soucier de l’état déplorable des soins aujourd’hui.

Depuis 50 ans, les Etats-Unis ont supprimé près d’un million de lits en psychiatrie pour cause de désinstitutionnalisation». L’argent devait servir au traitement communautaire et à la construction de logements décents; cela n’a pas été le cas. Les budgets de santé mentale, jamais suffisants, ont été progressivement, mais drastiquement réduits. Les patients recevant des soins insuffisants et souvent sans domicile sont fréquemment incarcérés pour atteinte à l’ordre public, des situations facilement évitables avec la prise en charge de leurs besoins basiques. La plupart des pays européens ont mieux géré la désinstitutionalisation, le traitement communautaire et la construction de logements décents.

Les bienfaits espérés, mais incertains, censés découler des progrès technologiques, ont triomphé de la tâche plus ingrate mais bien plus utile consistant à fournir soins et logement à ceux qui en ont besoin maintenant. Si la recherche en neuroscience est une bonne chose, notre propension à exagérer ses potentialités a contribué à alimenter le fléau de la criminalisation des maladies mentales.



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