Interview
Texte: Julie Zaugg
Photo: Mark Washburn - Icônes nounproject.com

«Il faut prendre son temps au lieu de se précipiter sur un traitement»

Professeur de médecine communautaire à l’Université Dartmouth, Gilbert Welch est un spécialiste de la question du surdiagnostic. Rencontre avec ce médecin de famille qui a traîné son stéthoscope de l’Alaska à la Zambie en passant par une réserve d’Indiens dans l’Oregon.

In Vivo - Qu’est-ce qu’un diagnostic excessif?

Gilbert Welch - Cela se produit lorsqu’on informe un patient qu’il a une certaine maladie, alors qu’il ne va jamais en développer les symptômes. Le surdiagnostic est un effet secondaire de notre obsession à vouloir repérer les anormalités le plus tôt possible pour les soigner avant même qu’elles ne se déclarent.

iv - Comment lutter contre ce phénomène?

gw Il faudrait réviser et adapter nos méthodes diagnostiques. Le meilleur outil de dépistage du cancer n’est pas celui qui découvre le plus de cas, mais celui qui repère les cas les plus préoccupants, les tumeurs qui comptent.

iv - Et une fois un diagnostic posé, comment savoir s’il faut traiter un patient ou pas?

gw - Lorsque cela se produit, on entre dans une zone grise. La clé est de prendre son temps. Au lieu de se précipiter sur un traitement, il faut examiner toutes les options et leurs conséquences, attendre un peu pour voir si le mal évolue et ne pas hésiter à jeter un second coup d’œil, voire un troisième, avant de se décider. Même avec une maladie grave comme le cancer, on a souvent bien plus de temps à disposition qu’on ne l’imagine.

iv - Y a-t-il des pays qui pratiquent plus le surdiagnostic que d’autres?

gw - Il se produit davantage dans les cultures qui cherchent à anticiper et à prédire l’avenir. Ce sont aussi celles qui se montrent excessivement enthousiastes face au dépistage, aux examens de routine et à la détection précoce des maladies. On retrouve ce schéma dans toutes les sociétés disposant de technologies médicales avancées.

"Informer un patient qu’il est atteint d’une maladie, alors qu’il ne va jamais en développer les symptômes, s’assimile à du surdiagnostic"

iv - Comment expliquer cette dérive?

gw - Il est devenu plus facile de trouver la maladie. Les nouveaux outils de diagnostic à la disposition des médecins nous permettent aujourd’hui de repérer des anomalies minuscules, comme d’infimes variations biochimiques ou anatomiques. Cela représente également une industrie à plusieurs millions de dollars. Le marché de la découverte de maladies est immense. Et la médecine a changé les règles du jeu: la définition de certaines maladies a été revue et étendue.

iv - Avez-vous un exemple?

gw - Lorsque j’étais étudiant en médecine, une attaque cérébrale était décrite comme un événement à la suite duquel le patient éprouvait des effets secondaires neurologiques, comme de la difficulté à parler, à marcher ou à mouvoir un côté de son corps. Aujourd’hui, la définition de ce mal a été élargie pour inclure des attaques «silencieuses», sans symptômes. Une étude de l’Université de Boston a montré que si on fait subir un IRM cérébral à 2’000 personnes d’âge moyen en bonne santé, on découvre les signes d’une telle attaque «silencieuse» chez 10% d’entre eux. Si on cherche suffisamment, on finit toujours par trouver une anomalie. Les corps humains en sont remplis.

iv - Quelle est l’ampleur de ce phénomène?

gw Il est très difficile de le savoir. La seule façon d’être à 100% sûr que quelqu’un a été sur-diagnostiqué serait de ne pas le traiter une fois la maladie repérée, puis de regarder s’il la développe de son vivant. Si ce n’est pas le cas, son diagnostic était excessif. Mais dans la pratique, il ne serait pas éthique de procéder ainsi.

iv - N’y a-t-il vraiment aucun moyen de savoir combien de personnes sont dans ce cas?

gw - Le surdiagnostic est comme un trou noir en astronomie: pour les mesurer, il faut observer ce qui se passe autour. Lorsqu’on voit soudain émerger un groupe de nouveaux patients là où il n’y en avait pas, c’est un signe qu’il y a sans doute eu une instance de surdiagnostic.

iv - Avez-vous un tel cas en tête?

gw - Au début des années 2000, la Corée du Sud a connu une épidémie de cancers de la thyroïde. En 2011, le nombre de tumeurs diagnostiquées au sein de cette population était 15 fois plus important qu’en 1993. Mais le taux de mortalité lié au cancer de la thyroïde, qui a traditionnellement toujours été très bas, est resté complètement stable durant cette période. Que s’est-il passé? En 1999, le gouvernement a initié un programme de dépistage national portant sur diverses formes de cancer. Celui de la thyroïde n’était pas inclus, mais de nombreux praticiens l’ont tout de même proposé à leurs patients.

Résultat, le nombre de Coréens subissant un ultrason du cou a crû massivement. Cela a mené à la trouvaille de nombreux nodules suspects, qui ont ensuite fait l’objet de biopsies. Diagnostiqués avec un cancer, deux tiers des patients ont choisi de se faire opérer pour retirer une partie ou l’ensemble de leur thyroïde. Or, la plupart de ces tumeurs n’auraient peut-être jamais provoqué de symptômes chez ces patients. Ces derniers ont donc été exposés inutilement aux risques d’une intervention chirurgicale et devront désormais prendre des médicaments de substitution de l’hormone thyroïdienne pour le restant de leur vie.⁄



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​Expert en surdiagnostic

Gilbert Welch est professeur au Dartmouth Institute for Health Policy and Clinical Practice (USA).

Il est l’auteur de «Less Medicine, More Health», «Overdiagnosed: Making People Sick in the Pursuit of Health» et «Should I Be Tested for Cancer? – Maybe Not and Here’s Why». Il écrit régulièrement des chroniques sur la question du sur-dépistage dans «The New York Times» et «The Washington Post».