Editorial
Texte: Arnaud Demaison

Je passe, donc je suis

Toutes les personnes LGBTIQA+ ont subi au moins une fois dans leur vie une discrimination liée à leur genre ou leur sexualité. Parmi ces lettres, le « T », pour transgenres, est particulièrement vulnérable. En sortant du métro à Paris, Julia a été encerclée par plusieurs individus qui lui ont touché les seins en criant : « Hé, mais t’es un homme toi ? » avant de la frapper au visage. Il y a quelques mois, une femme transgenre a été blessée à Genève par un homme qui lui demandait de voir son sexe, « pour vérifier ». Et à la violence s’ajoute la précarisation : le taux de chômage des personnes trans en Suisse est de 20%, soit cinq fois plus que la moyenne. Si le degré de brutalité varie, le procédé perdure : s’attaquer à faire disparaître toute forme de diversité.

Le passing désigne la capacité à s’intégrer dans un groupe sans que puissent être soupçonnées par les autres une identité de genre ou une orientation sexuelle différentes. Beaucoup de personnes transgenres considèrent cette faculté comme une protection vitale pour pouvoir évoluer dans notre société. On le sait aujourd’hui, plus la transition débute tôt – avant le développement des caractères sexuels secondaires par exemple – plus la personne bénéficiera d’un bon passing dans le futur. Or dans les faits, une transition est un traitement médical lourd qui demande l’accompagnement par des spécialistes, et qui s’avère irréversible, notamment quand il y a recours à la chirurgie (voir l'article). La médecine se retrouve donc confrontée à un dilemme : comment assister au mieux, parfois dans l’urgence, tout en sachant qu’il ne sera pas toujours possible de revenir en arrière ?

La construction du genre d’un individu commence avant sa naissance, « dans les fantasmes des parents », observe notre spécialiste Dana Pamfile (voir l'article). Une pression inconsciente reportée sur des ados qui, comme Léon (voir l'article), peuvent prendre très tôt conscience d’une dysphorie en lien avec leur identité sans pouvoir la verbaliser, et souffrir pendant de longues années de leur image. Selon une récente étude de la Commission de la santé mentale du Canada, une personne transgenre (en attente de transition) sur trois a fait une tentative de suicide au cours de l’année 2021. Et il est estimé que plus des deux tiers d’entre elles pensent régulièrement à mettre fin à leurs jours. L’urgence sanitaire est déclarée et la médecine l’aborde de front dans Jeunes et transgenres, comment les accompagner ? (voir l'article), pour donner toutes les chances possibles à ces jeunes dont la vie est en jeu. C’est en mettant en place des consultations spécialisées dans la transition de genre, y compris chez les plus jeunes, que l’on pourra les accompagner dans ce processus et mettre en œuvre ce qui est médicalement responsable pour leur ouvrir les portes du métro ou du travail, sans avoir à subir le regard de l’autre. En attendant un monde qui ne compte plus les X et les Y, leur laisser la possibilité de « passer », pour exister.



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