Editorial
Texte: Béatrice Schaad
Photo: Patrick Dutoit

Chose promise, chose tue

Il est sur son lit, déjà partiellement paralysé. Au point qu’enfiler un pull lui coûte d’inestimables efforts et qu’il doit être aidé.

Il est sur son lit, déjà partiellement paralysé. Au point qu’enfiler un pull lui coûte d’inestimables efforts et qu’il doit être aidé. Sa femme s’y prête de bonne grâce mais ce jour-là, leur bébé hurle dans une autre pièce et elle laisse son époux en plan. Le pull est à moitié enfilé, la tête n’a même pas passé l’encolure. Stephen Hawking reste assis plusieurs minutes, prisonnier vestimentaire. Ses yeux cherchent un peu de lumière par-delà les mailles. Et c’est ainsi qu’une question qui occupera l’entier de sa vie s’impose en une fraction de seconde: un trou noir est-il à l’origine de l’univers?

L’histoire de la recherche est truffée d’anecdotes merveilleuses qui relatent comment un chercheur, à la faveur d’une situation parfois totalement quotidienne, a eu une intuition. La science a progressé grâce à ces fulgurances. C’est sa force, son carburant depuis toujours.

Ce qui a changé cependant, c’est que si un chercheur testait autrefois ses hypothèses dans le secret de son laboratoire avant d’en faire état publiquement, aujourd’hui intuition et communication se pratiquent simultanément, fusionnées dans une même temporalité. On annonce ce qui pourrait advenir de la recherche avant même d’avoir obtenu des résultats. La peau de l’ours est vendue trois fois alors que l’animal lui, court toujours. Ainsi avec l’apparition d’internet Al Gore n’avait-il pas promis dès 1994, «une extension sans précédent de la liberté humaine»?

Alors certes, la promesse contient son lot d’utopies et d’élans; elle est l’expression des désirs des créatifs qui ne se satisfont pas de la réalité telle qu’elle est. Elle inspire des choix concrets économiques ou politiques. Toutes choses qui la rendent donc indispensable pour persévérer face aux âpretés et lenteurs de la recherche.

Mais en médecine, la promesse peut aussi être terriblement délétère. Motivée parfois par la pression économique grandissante de devoir protéger ses idées de la concurrence, elle est susceptible de créer chez les patients de fausses attentes et de cuisantes désillusions. Ce que les auteurs d’un livre à paraître nomment «la toxicité des faux espoirs».

Tout aussi problématique, une communication précoce et bruyante sur les résultats espérés alimente l’idée d’une médecine toute-puissante à laquelle aucune pathologie ne saurait résister. Elle gomme l’impuissance et la finitude. Elle place face à face des patients dont les attentes sont nourries de ces promesses et des professionnels de la santé qui sont, par nature, dans l’incapacité de les satisfaire toutes. En somme, elle institutionnalise la frustration et donc, le conflit.



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