Tendances
Texte: Jean-Christophe Piot

Cryothérapie : la récup’ à froid

La cryothérapie se démocratise, portée par la promesse de résultats spectaculaires sur le bien-être ou l’apparence. Une mode qui commence à préoccuper les scientifiques et les professionnels de la santé.

Cristiano Ronaldo, LeBron James ou encore Stan Wawrinka… On ne compte plus le nombre d’athlètes qui postent sur les réseaux sociaux des photos d’eux en pleine séance de cryothérapie, le corps enveloppé d’une vapeur glacée. Des images spectaculaires qui ont attiré l’attention du grand public sur une technologie dont les ressorts ne sont pourtant pas nouveaux. Des poches de glace aux sprays refroidissants, le recours au froid pour faciliter la récupération ou apaiser la douleur après un contact un peu rude est connu depuis longtemps. Dès le Ve siècle avant notre ère, Hippocrate recommandait déjà d’appliquer de la neige sur les hématomes.

Reste que si le froid a toujours fait partie de l’arsenal médical, on franchit un cran supplémentaire avec la cryothérapie. Ce procédé consiste à s’exposer durant deux
à trois minutes à un froid sec et intense entre -110 et -170 °C, et jusqu’à -195 °C
dans le cas des cryothérapies du corps partiel ou CCP (voir encadré). Une drôle d’idée qui a pourtant vite séduit les athlètes.

Mais que cherche-t-on à obtenir ? « La cryothérapie crée un choc thermique de très courte durée », explique Mathieu Saubade, chef de clinique au sein du Centre de médecine du sport du CHUV.
Si la baisse de la température corporelle centrale n’est que de 0,3 °C, elle peut aller de 5 à 10 degrés à la surface de la peau. « Face à ce stress brutal, l’organisme répond par une série de modifications physiologiques qui permettent d’améliorer la circulation sanguine, de favoriser l’oxygénation des muscles pour accélérer la récupération ou de soulager des douleurs. »

Une cascade d’effets positifs dont témoignent beaucoup d’athlètes et qui va bien au-delà de la récupération des sportifs, selon une partie des professionnels de la santé. Kinésithérapeute à Paris, Didier Vambert fait partie des ardents défenseurs de cette pratique, qui vient enrichir son offre thérapeutique : « Au-delà de la préparation à l’effort et de la récupération, la cryothérapie du corps entier (CCE) permet de soulager des blessures variées, des tendinites aux déchirures musculaires, en passant par les hématomes, courants dans les sports de combat ou de contact. » En dehors du champ sportif, beaucoup de professionnels de santé – rhumatologues, dermatologues, kinésithérapeutes, ostéopathes – l’utilisent pour traiter des patients touchés par des pathologies chroniques lourdes comme la sclérose en plaques. Pour eux, l’exposition au froid aurait aussi des effets sur le sommeil, la dépression, certaines maladies de peau comme le psoriasis ou encore l’eczéma.

Le rapport qui jette un froid

La panacée ? Pas si vite. En septembre 2019, une publication de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale en France (Inserm) est venue sérieusement doucher les enthousiasmes. Après analyse de la littérature scientifique existante, le verdict des chercheurs français est sans appel. En termes de santé, «les résultats en faveur d’un effet positif de la cryothérapie sont modestes et uniquement mesurés à très court terme », indique le rapport. « Nous ne savons tout simplement pas en objectiver les effets », précise Soumaya Ben Khedher Balbolia, l’un de ses auteurs.
« La centaine d’études menées en vingt ans ne permet pas de démontrer les bénéfices de manière claire et robuste », ajoute l’épidémiologiste, qui pointe aussi les faiblesses méthodologiques des travaux analysés. L’inserm n’est pas le seul à pointer l’absence de preuves : aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA), chargée du contrôle des médicaments, affirme également « ne disposer d’aucun élément indiquant que la CCE traite efficacement des maladies ou des affections comme la fibromyalgie, les migraines, la polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaques, le stress, l’anxiété ou la douleur chronique ».

Face à l’absence de preuves scientifiques, que penser des témoignages enthousiastes des patients et des soignants ?
« Il n’y a aucune raison de ne pas les croire, mais la douleur est une notion subjective, délicate à mesurer et à évaluer. Le rapport ne conclut pas à l’absence de bénéfice mais à l’impossibilité d’en comprendre le fonctionnement d’une part, et d’en démontrer les effets thérapeutiques d’autre part », tranche Soumaya Ben Khedher Balbolia. Un point de vue que partage le docteur Saubade, tout en tempérant : « Même s’il ne s’agit que d’un effet placebo, c’est un effet tout de même. Comme à chaque fois qu’apparaît une nouvelle piste thérapeutique, il faut attendre que la recherche en précise les bénéfices. Mais je suis plutôt enthousiaste tant que la pratique est bien encadrée. »

Un risque de dérive ?

Et c’est bien là que le bât blesse : « N’importe qui peut investir dans une cabine de cryothérapie et ouvrir son institut », résume Soumaya Ben Khedher Balbolia. Ce constat est valable dans l’Union européenne comme ailleurs. Partout ou presque, la réglementation est inexistante : aucun titre professionnel et aucune formation ne sont nécessaires à ce jour.

Stimulée par la vogue de la cryothérapie chez les célébrités, les cabines se sont donc multipliées ces trois ou quatre dernières années. Cabinets d’esthétique, instituts spécialisés, centres de fitness –la tendance est palpable en Suisse, où une quarantaine de structures coexistent, indépendantes ou franchisées par des sociétés comme Hibernatus ou Swiss Cryotherapy. Fanny Cambria, cogérante du salon genevois Cryobar, peut témoigner de la vitalité d’un marché de plus en plus concurrentiel. Ouvert depuis mars 2018, son institut était alors le deuxième de Genève ; la ville en compte aujourd’hui quatre de plus, sans que l’activité ralentisse, au contraire : « Nous recevons chaque mois 100 à 150 clients de tous les profils et de tous les âges, de 18 à 70 ans. Depuis trois ou quatre ans, le grand public se tourne vers la cryothérapie parce que c’est bon pour la récupération musculaire, mais aussi pour le sommeil, les rhumatismes ou encore la peau. » D’autant que l’offre n’est pas inaccessible : à 59 francs la séance, le Cryobar se situe dans la moyenne des tarifs helvétiques et propose des formules d’abonnement qui permettent de réduire la facture.

Problème : certains discours commerciaux jouent sur la frontière floue qui sépare le monde du soin et celui de l’esthétique et du bien-être. Insomnie, dépression, douleurs chroniques, cellulite, problèmes de poids… La lecture des sites web laisse parfois penser que la cryothérapie relève de la baguette magique, capable de tout traiter ou presque. Des discours trompeurs qui vont parfois trop loin, estime Soumaya Ben Khedher Balbolia :
« En France, certains vont jusqu’à prétendre qu’on peut traiter le cancer par la cryothérapie. Il y a un vrai risque que des patients, sensibles à ce discours, décident d’arrêter leur traitement. »

Une pratique à encadrer

La cryothérapie n’est pas une pratique anodine. Avant de s’exposer à une température de -160 ou -170 °C, des précautions s’imposent. Certaines relèvent du bon sens : ne pas entrer dans la chambre de cryothérapie juste après un effort ou par grande chaleur, éviter impérativement de commencer la séance avec la peau humide, poser ses lentilles ou protéger l’extrémité de ses membres. Autant de gestes qui imposent la présence d’un opérateur avant, pendant et après le passage par les cabines.

« Un choc thermique de cette envergure pèse sur le système cardiovasculaire », insiste le docteur Saubade. La cryothérapie est donc contre-indiquée en cas d’hypertension ou de problèmes cardiaques, après un AVC ou si l’on souffre d’une pathologie sensible au froid comme la maladie de Raynaud. « La réflexion se fait au cas par cas et, au moindre doute, il faut poser la question à son médecin.
Le principe de précaution doit toujours prévaloir », souligne le praticien, qui relève à cet égard le sérieux des centres spécialisés installés en Suisse romande : « Nous n’avons eu aucun écho négatif. »

Quant à la fréquence, tout dépend du profil des patients, explique Didier Vambert : « Une seule séance, trente-six heures avant une compétition, suffit à un sportif pour se préparer. Dans le cas d’un patient atteint de sclérose
en plaques, on peut aller jusqu’à deux séances par jour en pleine poussée, tant qu’elles sont séparées de deux heures. » Là encore, tout est question de protocole et chaque cas est différent, insiste le kinésithérapeute. Au Cryobar, Fanny Cambria l’assure : elle veille à tout excès et aucun de ses clients n’entre dans une de ses cabines sans avoir rempli un questionnaire détaillé et pris sa tension.
La gérante est d’ailleurs la première à réclamer la mise en place d’un cadre réglementaire précis, pour éviter tout risque de dérive.

Mais la question est de savoir où placer le curseur. En Suisse comme en France, où l’étude de l’Inserm a mis en évidence une série d’accidents et de procès, certains militent pour que les professionnels de la santé soient les seuls à pouvoir proposer la cryothérapie. C’est le cas de Didier Vambert : « La cryothérapie, ce n’est pas un tour de manège. C’est un protocole précis, adapté à chaque cas et à chaque patient. Quand on voit que certains regardent leur portable ou vont boire un café pendant que les patients sont dans la machine…
À force de laisser faire n’importe quoi à n’importe qui, on va droit à l’accident », martèle le praticien. /



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​Avec ou sans la tête ?

La CCE (cryothérapie du corps entier) consiste à exposer le corps entier au froid, tête comprise, dans un équipement qui peut compter une, deux ou trois pièces. Soumis à un froid d’origine électrique, le patient peut s’y déplacer en sous-vêtements, ses extrémités protégées par des gants, des chaussettes et un masque.

La CCP (cryothérapie du corps partiel) se déroule dans une sorte de caisson vertical dont ne dépasse que la tête. Une fois le patient installé, l’azote liquide fait rapidement descendre la température jusqu’à -160 °C, voire -180 °C. Des deux possibilités, c’est la CCP qui concentre le plus les critiques dans le rapport de l’Inserm, qui signale des risques de brûlure, voire d’asphyxie.

​Une invention japonaise

Présentée en 1979 lors du Congrès européen des rhumatologues, la première cabine de cryothérapie a été inventée par le professeur japonais Toshiro Yamauchi dans l’idée de soulager de leurs douleurs des malades atteints de rhumatismes. La technologie s’est ensuite développée avec l’apparition des premières chambres de cryothérapie du corps entier, où ont été traités des patients victimes de douleurs post-traumatiques, dont des sportifs blessés. C’est dans le cadre du sport de haut niveau que la pratique s’est ensuite généralisée à partir des années 1980, notamment en Union soviétique lors des Jeux olympiques de Moscou.