Tendances
Texte: Jean-Christophe Pot
Photo: Rose-lynn fisher

Tout ce que vos larmes peuvent dire sur vous

Le sang ou les urines ne sont plus les seuls fluides corporels qui permettent de livrer un diagnostic. De nouveaux terrains d’analyse médicale font leurs preuves.

"On va faire une prise de sang." Face à bien des symptômes, c’est dans un échantillon d’hémoglobine ou d’urine qu’un médecin va chercher les éléments qui lui permettent de poser un diagnostic. «Ces deux fluides sont une mine d’informations précieuse sur l’état de santé d’un patient: marqueurs biochimiques, anticorps, protéines…», note Natacha Turck, maître-assistante au département de biologie structurale de l’Université de Genève. Les scientifiques s’intéressent pourtant aujourd’hui à d’autres substances corporelles pour effectuer des analyses biologiques. «Les tests de sang et d’urine ont leurs limites: l’urine est très riche en sel et en cristaux, ce qui compromet la recherche de biomarqueurs protéiques. Le sang, lui, regorge de protéines comme l’albumine qui masquent les traces plus faibles laissées par d’autres indicateurs.»

Au-delà du souffle, le futur de l’analyse pourrait bien se situer dans les yeux ou sous les aisselles des patients: les larmes et la sueur font partie des fluides les plus prometteurs.

Un souffle qui en dit long

Parmi les champs de recherche les plus encourageants, les composés organiques volatils (COV) – des substances qui se trouvent dans l’air ambiant et que l’être humain ingère en respirant – sont incontestablement les plus en vogue. Certains protocoles sont déjà courants, en particulier en gastroentérologie où ils permettent d’identifier les bactéries présentes dans le système digestif. Le principe: le patient ingère une quantité fixée de différents sucres (lactose, fructose…) que dégrade ensuite son tube digestif. Ne reste qu’à comparer les traces de ce processus dans l’hydrogène expiré aux normes de référence pour détecter une éventuelle anomalie. Le «breath test» à l’urée, le plus courant, permet ainsi de détecter la présence de la bactérie «Helicobacter pylori», responsable d’une large part des ulcères gastriques ou duodénaux.

Et demain? Les chercheurs espèrent pouvoir accélérer le diagnostic de maladies graves que les premiers symptômes, voisins d’affections courantes, ne permettent pas toujours d’identifier suffisamment tôt: cancers de l’estomac ou du poumon, maladies hépatiques… L’enjeu n’est pas mince en oncologie où la précocité du diagnostic est essentielle.

Le potentiel est immense et les études se multiplient partout dans le monde. Le but: identifier et recenser les biomarqueurs pertinents et associer telle ou telle pathologie à telle ou telle variation d’une signature chimique, détectée par des «nez» électroniques. Chez Tecnalia, l’un des plus grands groupes privés de recherche d’Espagne, on développe des biocapteurs «capables de détecter la présence d’une large gamme de marqueurs du cancer du poumon dans l’air expiré, explique Eva Ibanez, responsable du département d’innovation médicale. En parallèle, nous avons amélioré la sensibilité des appareils.» Après avoir recueilli des échantillons d’haleine auprès des patients d’un hôpital associé, les équipes de Tecnalia les ont comparés avec ceux de personnes saines afin d’identifier les composés les plus pertinents.

Basée à Los Angeles, la photographe Rose-Lynn Fisher s’intéresse aux liens entre art et science. Ces deux photos, intitulées «Tears for those who yearn for liberation» («larmes pour ceux qui cherchent à se libérer»), et «Tears of ending and begining» («Larmes de début et fin») sont extraites de son travail sur la «topographie des larmes».

De la sueur et des larmes

Au-delà du souffle, le futur de l’analyse pourrait bien se situer dans les yeux ou sous les aisselles des patients: les larmes et la sueur font partie des fluides les plus prometteurs. Natacha Turck travaille depuis des années à repérer les biomarqueurs protéiques mais aussi les parasites présents dans les larmes. Ils seraient susceptibles de détecter une infection virale, d’orienter le diagnostic médical, d’identifier des risques d’AVC ou de faciliter le suivi de maladies comme la sclérose en plaques. «Ces tests ont l’avantage d’être indolores, peu coûteux, rapides et pratiques: il suffit de placer un buvard contre la cornée pour récupérer un échantillon», explique Natacha Turk. La sueur? Un peu plus long, mais aussi pratique: un simple patch, porté quelques jours, permet de rassembler les quantités nécessaires à l’analyse de marqueurs métaboliques capables de donner des indications sur l’évolution de l’état de santé des patients cancéreux. Et donc d’adapter le suivi thérapeutique.

«Dans le cas de patients jusqu’ici soumis à des ponctions lombaires régulières, le gain est évident. Et financièrement parlant, les systèmes de santé pourraient y gagner», anticipe Natacha Turk. Comme pour les COV, le principe est acquis. Reste à mener à bien le patient travail d’études cliniques qui permettra d’étendre le champ de ces nouvelles analyses biologiques. «Nous n’en sommes qu’aux débuts mais les applications concrètes sont à portée de main.» D’ici 5 à 10 ans, l’analyse des larmes pourrait ainsi être aussi pertinente que celle du sang.



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​Les tests d’autodiagnostic créent le débat

Les progrès techniques ont permis de commercialiser à bas coût différents examens biologiques autrefois réservés aux laboratoires: glycémie, cholestérol et certains cancers peuvent désormais être diagnostiqués à domicile grâce à des tests facilement utilisables.

De là à envisager une vente libre, il n’y a qu’un pas. Si les autorités de santé y voient une piste de réduction du coût et la durée des parcours de soins, certains médecins restent dubitatifs, redoutant les effets d’une mauvaise utilisation de ces tests: faux positifs, interprétation erronée… Même son de cloche du côté de l’Office fédéral de la santé publique (OSFP), qui estime que toute analyse biologique ne peut s’interpréter que dans un contexte professionnel.