Prospection
Texte: Jean-Christophe Piot

Une molécule, une histoire

La cocaïne, du médicament à la drogue

Connue des peuples des Andes depuis des siècles, la molécule de la cocaïne a d’abord été utilisée comme médicament en Europe avant de devenir un problème de santé publique majeur.

En Amérique du Sud, d’où elle est originaire, la feuille de coca est appréciée pour son effet stimulant : mâchée ou préparée en infusion, elle aide à lutter contre la fatigue ou les effets de l’altitude. Au milieu du XIXe siècle, différents chimistes allemands et autrichiens parviennent à extraire et à concentrer la molécule, un alcaloïde comme la morphine, la caféine ou la nicotine. « Ce n’est pourtant pas pour ses propriétés excitantes que l’ester méthylique de la benzoylecgonine – le nom scientifique de la cocaïne – intègre la pharmacopée occidentale », explique Thierry Buclin, chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. « La cocaïne a été le premier anesthésique local. Appliquée sur une muqueuse, elle permet alors d’endormir la surface concernée, ce qui facilite le travail des chirurgiens tout en réduisant la souffrance des patients. » Petit à petit, la cocaïne se banalise au point qu’on la retrouve souvent dans les armoires à pharmacie des particuliers qui l’utilisent notamment comme analgésique, anxiolytique et antidépresseur.

Au tournant du XXe siècle, les médecins et les pharmaciennes sonnent l’alarme. Encore présente dans le paquetage des soldats de la Grande Guerre avec des produits comme le vin Mariani, une boisson tonique réalisée à partir de feuilles de coca macérées dans du vin, la cocaïne fait les frais des premières législations antistupéfiants qui se mettent en place au lendemain du conflit. « Son interdiction progressive, comme celle des opiacés, avait pour but d’éviter une épidémie de dépendance qui touchait d’ailleurs d’abord les soignants. 

En cause, les propriétés particulières de la molécule. « La cocaïne mime les effets de la dopamine, un neurotransmetteur sécrété par l’organisme quand nous sommes excités par une bonne nouvelle, un repas agréable, une séance de sport… C’est la molécule de la récompense. » Tout le problème de la célèbre poudre blanche tient au fait qu’une fois son effet passé, la descente pousse les individus à vouloir retrouver cette sensation d’euphorie. Ce phénomène engendre un effet de craving et de dépen­dance aux effets souvent catastrophiques pour les cocaïnomanes : problèmes financiers, désocialisation et isolement. « C’est la drogue de l’addiction par excellence, explique Thierry Buclin. Comme le manque se traduit par un état dépressif et des idées noires, reprendre une dose est particulièrement tentant. Sur le plan physique, en revanche, il n’y a pas de danger majeur d’overdose avec la cocaïne en dehors

du risque d’accidents cardiaques. » /



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