Prospection
Texte: Martine Brocard
Photo: Andrew Tingle

L'animal, avenir de l'homme sain

Chercher chez des animaux des substances bénéfiques pour la santé humaine passionne les scientifiques. Tour d'horizon.

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Illustration: La limule, un arthropode marin qui vit notamment sur la Côte Est, contient un agent coagulant appelé lysat d’amébocyte. Les pharmas l’utilisent pour détecter la présence d’endotoxines dans certains médicaments et autres appareils implantables. Après l’extraction de leur sang (jusqu’à 30%), les limules sont relâchées. Des études indiquent que ce prélèvement coûte la vie à 15, voire 30% d’entre elles.

Aller chercher des remèdes directement chez les animaux et les appliquer à l’homme. Le concept peut sembler novateur, pourtant il remonte à plusieurs siècles. En 1667 déjà, à Paris, un jeune homme de 15 ans avait reçu une transfusion de sang d’agneau pour le guérir de sa fièvre. Par chance, et probablement parce que la quantité injectée était limitée, le malade avait survécu et s’en était même porté mieux. Fort de ce succès, le médecin Jean-Baptiste Denis avait alors retenté deux fois l’expérience, avec du sang de veau, mais ses patients étaient décédés en cours de transfusion.

Quelques centaines d’années plus tard, la mode était aux greffes. Au début du XXe siècle, à Lyon, un chirurgien avait transplanté un rein de chèvre sur une femme. L’opération s’était rapidement soldée par un rejet. Puis dans les années 1920-1940, un chirurgien français d’origine russe, Serge Voronoff, s’était illustré en greffant des extraits de testicules de singe à des hommes pour retarder le vieillissement, avant d’être complètement discrédité.

L'hémoglobine du ver pourrait aussi aider la cicatrisation des plaies diabétiques, qui peinent à se refermer en raison d’un manque d’oxygénation. Des pansements spéciaux sont à l’étude.

Malgré ces revers, les scientifiques en restent persuadés: les composants biologiques des animaux peuvent être utiles à la création de traitements ou de médicaments destinés à soigner l’homme.

Certaines applications sont même entrées dans les mœurs depuis longtemps, sans que plus personne ne réalise qu’on les doit à un animal. C’est le cas du sang des limules qui garantissent la sécurité des médicaments injectables et autres vaccins depuis plus de 40 ans (voir ci-contre).

Le champ de recherche s’élargit à mesure que des organismes jusque-là inconnus ou peu étudiés parviennent jusqu’aux microscopes des spécialistes. «Les endroits où l’on trouve une grande biodiversité et où l’on a eu peu accès jusque-là, comme les fonds marins et la forêt tropicale, détiennent un immense potentiel», dit Jean-Christophe Vié, directeur adjoint du programme mondial pour les espèces de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Il voit là un argument de plus pour encourager la protection de la biodiversité. A condition toutefois de ne pas surexploiter l’animal une fois ses vertus médicinales reconnues.

Il n’est cependant pas nécessaire de partir à l’autre bout du monde pour trouver de nouveaux remèdes. Des animaux a priori peu exotiques comme des vers du littoral breton, voire domestiques, comme les cochons, font l’objet de recherches intensives et ont déjà obtenu des résultats encourageants.

1 / L’hémoglobine surhumaine d’un ver marin

L’arénicole, un ver qui vit sur les plages de la mer du Nord jusqu’à Biarritz, pourrait détenir le secret du sang universel. Le biologiste Franck Zal, fondateur de la société Hemarina en Bretagne, a découvert au début des années 2000 que son hémoglobine peut transporter 50 fois plus d’oxygène que l’hémoglobine humaine. Il a depuis fait breveter la molécule concernée et travaille au développement de ses applications.

Parmi elles figure la mise au point d’un substitut sanguin universel. Contrairement à l’hémoglobine humaine, celle de l’arénicole n’est pas contenue dans un globule rouge et circule librement dans ses veines. Le problème de la compatibilité des groupes sanguins ne se pose donc pas. La molécule est même lyophilisable et pourrait s’utiliser dans des zones de combat ou de catastrophe.

Ces recherches présentent aussi un grand potentiel pour le don d’organe. «Actuellement il s’agit d’une course contre la montre, car le greffon est plongé dans une solution composée d’eau et de sel, mais sans aucun transporteur d’oxygène. Si on y ajoute notre solution, l’apport d’oxygène prolonge la vie de l’organe», explique Franck Zal. La durée de vie d’un cœur passe ainsi de 4 à 8 heures, et celle d’un rein de 12 à 48 heures. Des essais cliniques devraient débuter cette année.

Enfin, l’hémoglobine du ver pourrait aussi aider la cicatrisation des plaies diabétiques, qui peinent à se refermer en raison d’un manque d’oxygénation. Des pansements spéciaux sont à l’étude.

«C’est une idée qui pourrait potentiellement révolutionner la question de la transfusion sanguine et de l’oxygénation des tissus», analyse Raffaele Renella, médecin associé et responsable du secteur de recherche en hémato-oncologie pédiatrique du CHUV. Mais il reste prudent. «Il y a plusieurs problèmes majeurs avec l’hémoglobine libre artificielle provenant d’autres espèces animales. Certaines formes peuvent provoquer des réactions immunitaires chez l’humain, causer des perturbations importantes de la fonction cardiovasculaire et rénale, ou s’accumuler dans les tissus et y causer des dommages. Beaucoup d’autres recherches devront être faites avant un usage clinique de routine», estime-t-il, tout en invitant le public à ne pas oublier de donner du sang en attendant.

2 / Des greffes porcines pour soigner le diabète

Des greffes de cellules de porc pourraient bientôt offrir une solution durable aux 40% des diabétiques de type 1, pour qui les injections quotidiennes d’insuline ne suffisent pas à maintenir la maladie sous contrôle. «Pour ces patients, il faut restaurer la régulation endogène d’insuline», explique Philippe Morel, professeur de chirurgie et médecin-chef du Service de chirurgie viscérale et transplantation des HUG.

Deux options sont à disposition: la greffe de pancréas ou la greffe d’îlots de Langerhans, les cellules du pancréas directement responsables de la production d’insuline. Mais dans un cas comme dans l’autre, les donneurs sont rares.

Philippe Morel et son équipe travaillent depuis 20 ans sur un projet de greffe d’îlots de Langerhans de porc chez l’humain. «Comme il s’agit d’une xénotransplantation, le problème de rejet est extrêmement sévère», souligne-t-il. Une collaboration a donc été mise sur pied avec l’EPFL pour développer une capsule entourant les îlots afin
de les protéger du rejet, mais tout en permettant à l’insuline de se diffuser dans le sang.

Les porcs utilisés sont certifiés «sans agents pathogènes». Ils naissent par césarienne et sont élevés dans un environnement complètement stérile. «Le fait qu’on sacrifie de jeunes porcs pour des raisons médicales pose un certain nombre de problèmes éthiques, mais pas plus que lorsqu’il s’agit d’un porc qui va être mangé», pointe le spécialiste. Les essais cliniques devraient débuter d’ici à deux ans.

3 / Une protéine d’ours pour traiter Alzheimer

Et si l’on s’intéressait à l’hibernation des ours pour combattre la maladie d’Alzheimer? Le lien ne semble pas évident, pourtant c’est la démarche qu’a entreprise une équipe de chercheurs de l’Université de Cambridge.

Emmenés par Giovanna Mallucci, professeure de neurobiologie dans l’établissement britannique, les chercheurs étudient la protéine RBM3 que l’ours génère pendant son sommeil hivernal. C’est en effet grâce à cette molécule que lorsque le plantigrade se réveille, ses connexions neuronales (ou synapses) sont intactes. «Cette protéine est également présente chez l’être humain, mais on ne sait pas encore très bien comment elle interagit avec la protection des synapses», précise la scientifique.

Des tests sur des souris, chez qui on a simulé le processus d’hibernation, ont démontré que les souris saines se mettaient à sécréter la protéine RBM3, si bien qu’au réveil leurs connexions neuronales se rétablissaient. Par contre, chez des souris au cerveau défaillant, la protéine n’était pas sécrétée. Les chercheurs leur ont alors administré RBM3, ce qui a permis d’empêcher la dégénération neuronale.

Des tests cliniques devraient avoir lieu en 2016. A long terme, les chercheurs espèrent développer un médicament capable d’agir comme molécule de protection contre les maladies neurodégénératives.

4 / Des anticancéreux issus des requins

La squalamine, une molécule tirée des tissus d’un petit requin («squalus acanthias»), pourrait s’avérer un des alliés de l’humain contre le cancer ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge. La molécule a été découverte en 1993 par les équipes de Michael Zasloff, de l’Université de Georgetown à Washington, puis a été synthétisée en 1995.

Ses propriétés anti-angiogéniques, qui empêchent les vaisseaux sanguins de croître de manière aberrante pour alimenter la croissance de tumeurs cancéreuses ou dont la prolifération cause la dégénérescence maculaire liée à l’âge, intéressent beaucoup les chercheurs et l’industrie pharmaceutique. Des études cliniques sur des patients atteints de cancer du poumon sont en cours, tandis que la compagnie américaine Ohr Pharmaceuticals mène une étude clinique sur des gouttes pour les yeux à base de squalamine.

Mais ce n’est pas tout. «Le requin semble être étonnamment immunisé contre les infections virales», pointe Michael Zasloff, qui impute cela à la squalamine. Les propriétés antivirales à large spectre de
la molécule sont également étudiées. Des tests in vitro sur le virus de la fièvre dengue et celui de l’hépatite B ont donné des résultats encourageants. ⁄



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Ce que dit la loi

En Suisse, il n’y a pas d’interdiction de principe à utiliser des composants animaux pour la médecine. Toutefois, différentes lois régissent ces usages. Dans le cas de greffes sur l’être humain d’organes, de tissus ou de cellules d’origine animale, c’est l’Office fédéral de la santé publique qui donne les autorisations.

L’article 43 de la Loi sur la transplantation stipule notamment qu’un essai clinique de xénotransplantation peut être autorisé si «tout risque d’infection de la population peut être exclu avec une grande probabilité» et si «on peut escompter que la transplantation aura une utilité thérapeutique». Lorsque des produits fabriqués à partir d’organes, de tissus ou de cellules animales sont standardisés, ils sont assimilés à des médicaments. Ils deviennent alors sujets au régime d’autorisations de Swissmedic, l’Institut suisse des produits thérapeutiques.

Enfin, si les composants animaux proviennent d’espèces protégées ou génétiquement modifiées, la Loi sur la protection des animaux ainsi que la Loi sur la protection de l’environnement s’appliquent.