Prospection
Texte: Jean-Christophe Piot
Photo: DR. G. RAVILY / SCIENCE PHOTO LIBRARY

Le Botox au secours des migraineux

Certains maux de tête résistent aux traitements pharmacologiques. La décompression chirurgicale des nerfs périphériques présente un espoir réel. Explications.

«Plusieurs fois par mois, j’avais le crâne pris dans un étau pendant trois, parfois quatre jours», témoigne Alain Beutler, le deuxième des quelque 50 patients soignés au CHUV. «Ma vie privée et ma vie professionnelle en souffraient considérablement», se souvient ce garagiste atteint de migraines depuis son enfance. Un désarroi dont témoigne également Florence Lavanchy: à 38 ans, cette assistante médicale souffrait de maux de tête depuis une vingtaine d’années: «Soit les antalgiques ne me soulageaient plus, soit ils m’assommaient. Mes douleurs se situaient à 7 ou 8 sur une échelle de 10.»

Infiniment handicapantes, migraines et céphalées peuvent mener à des situations de détresse. Bien que des progrès significatifs aient été réalisés dans le domaine de la gestion de la douleur, une partie des patients résiste aux traitements classiques dont beaucoup se limitent à gérer l’intensité des crises, sans apporter de solution curative et au prix d’effets secondaires non négligeables. C’est à ces patients réfractaires que s’adressent les interventions proposées par Wassim Raffoul, chef du Service de chirurgie plastique et de la main du CHUV, et les chefs de clinique Giorgio Pietramaggiori et Sandra Scherer.

«Si aucun traitement classique ne peut soulager ou prévenir ces souffrances, nous poussons plus loin la sélection avant d’envisager une approche chirurgicale.»

La technique déployée au CHUV depuis 2013 doit beaucoup au hasard: mise au point à Cleveland par le Dr Bahman Guyuron, elle découle d’un constat dressé par des chirurgiens esthétiques. Leurs patients souffrant de migraines témoignaient d’une réduction significative de la fréquence et de l’intensité de leurs douleurs suite à des injections de toxine botulique au niveau du front.

Les études cliniques ont permis de confirmer que la paralysie des muscles de la zone avait un effet collatéral: la décompression de certains nerfs périphériques, responsables du déclenchement des crises.

Des patients triés sur le volet

«Ce type d’interventions ne concerne pas tous les patients», tempère Giorgio Pietramaggiori. «Qu’il s’agisse de migraines ou plus largement de céphalées, nous nous assurons auprès des neurologues que toutes les causes identifiables ont été éliminées: variation hormonale, mauvaise vascularisation, hernies cervicales… Si aucun traitement classique ne peut soulager ou prévenir ces souffrances, nous poussons plus loin la sélection avant d’envisager une approche chirurgicale.»

L’équipe utilise deux techniques complémentaires. Quand les patients potentiels souffrent de maux de tête lors de la consultation, elle procède à des anesthésies locales de courte durée dans les zones douloureuses: front, tempes, zygomatiques, nuque ou nez pour identifier les terminaisons nerveuses. Lorsque le patient ne se trouve pas en crise, les médecins procèdent à une injection de toxine botulique et demandent à leurs patients d’évaluer leurs douleurs durant un mois. Cette étape permet d’observer l’effet de la décompression d’un ou plusieurs nerfs: si l’intensité des douleurs diminue d’au moins 50%, l’intervention chirurgicale peut être engagée.

Au cours de cette dernière, les chirurgiens du CHUV libèrent les nerfs comprimés par les structures anatomiques environnantes, tel le petit muscle situé entre les sourcils et responsable de la célèbre «ride du lion». En libérant le point de compression, l’opération supprime ainsi le déclencheur susceptible de provoquer une crise. L’intervention, relativement courte et réalisée en ambulatoire, peut parfois s’étendre: «Je devais rester 3h40 au bloc: j’y suis resté près de 8 heures», sourit Alain Beutler. «Ce patient est hors norme: les points de compression se situaient tout autour de son crâne et dans la nuque précise Wassim Raffoul. Ce cas nous a permis d’affiner nos protocoles.» L’opération dépasse à présent rarement deux heures.

Des résultats significatifs

Comme aux Etats-Unis, le taux de réussite est élevé: 85% des patients se disent soulagés dans des proportions considérables. «Non seulement mes maux de tête sont plus rares, mais ils sont deux ou trois fois moins intenses», explique Florence Lavanchy. Même son de cloche du côté d’Alain Beutler: «Le soulagement a été immédiat et spectaculaire. Je peux à nouveau travailler sans redouter une crise; je peux enfin passer mon temps libre autrement qu’allongé dans le noir.» Suivi par le CHUV et accompagné par un ergothérapeute, Alain Beutler profite chaque jour d’un progrès qui semble définitif: une quinzaine d’années après les premières interventions pratiquées aux Etats-Unis, aucun cas de récidive n’a été signalé.

«Les nerfs sensitifs concernés ne sont ni éliminés ni lésés», explique Sandra Scherer: «Il n’y a pas d’effets secondaires visibles sur le visage et les patients gardent toute leur sensibilité.» Détail non négligeable, après une période de convalescence réduite, l’opération ne laisse que des cicatrices pratiquement indécelables, d’autant que la plupart se situent sous le cuir chevelu. A l’avenir, Wassim Raffoul et son équipe estiment que ce type d’interventions devrait se généraliser.



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​Une maladie handicapante

Des maux de tête violents, chroniques et pulsatiles? Des nausées? Une forte sensibilité à la lumière ou au son? Comme Hippocrate ou Lewis Carroll, vous faites probablement partie des 20% de femmes et des 8% d’hommes atteints de migraines. Ce désordre neurologique chronique qui résulte d’une perturbation des vaisseaux de la méninge a des causes variables et en partie héréditaires, puisque 60 à 70% des patients ont des antécédents familiaux. Un rien peut déclencher ces crises qui peuvent aller de quelques heures à plusieurs jours: stress, fatigue, efforts physiques, odeurs…