Innovation
Texte: Chloé Thomas-Burgat

Pas de sang à perdre

La gestion du sang dans les hôpitaux connaît de profonds bouleversements. De nombreuses études et projets ont pour objectif de mieux le préserver.

Le sang est précieux, utilisons-le donc à bon escient. Voici comment pourrait être résumé en une phrase le programme Patient Blood Management (PBM). «Plus que de la gestion, c’est un état d’esprit qui vise à épargner le sang en circulation via l’élaboration de bonnes pratiques comme l’amélioration des processus de contrôle pour l’étiquetage des poches de sang, la révision des seuils transfusionnels ou encore la réorganisation des examens préopératoires en lien avec les commandes de sang», explique Guénolé Addor, chef de clinique, responsable de l’implémentation du PBM au CHUV.

S’inscrivant directement dans le mouvement Smarter Medicine (voir notre dossier Focus sur ce sujet) – faire moins pour faire mieux –, le PBM est théorisé à la fin des années 1990. Mais c’est en 2008, en Australie de l’Ouest, que les changements les plus importants se concrétisent. Soutenus par les autorités nationales, plusieurs programmes intégrant les bonnes pratiques voulues par le PBM sont implémentés. Le devenir des patients s’améliore et les coûts liés aux transfusions des produits sanguins diminuent drastiquement.

En Suisse, la question de la gestion du sang est plus que jamais d’actualité.

Selon les prévisions de Transfusion CRS Suisse, le pays doit s’attendre à une pénurie de sang d’ici à 2025: le vieillissement de la population et par conséquent l’augmentation des interventions en lien avec des pathologies lourdes, telles que les cancers, contribueront à puiser dans les réserves.

Dans le canton de Zurich, où le PBM est déjà testé depuis plusieurs années, les résultats sont très encourageants. Une étude, publiée en 2018 dans la revue scientifique Annals of Surgery, annonce par exemple que les transfusions sanguines ont diminué de 27%. Les économies réalisées sont estimées à 85 francs suisses par patient, soit 2 millions de francs en tout. «Ces résultats montrent que le PBM a clairement un impact économique positif, même si son implémentation coûte au départ», note Guénolé Addor, qui s’attelle à implémenter le programme au CHUV depuis bientôt deux ans.

Réfléchir à la nécessité de chaque acte

Pour éviter les pertes, Guénolé Addor et Claudia Lecoultre, infirmière clinicienne spécialisée, se sont lancés dans un travail de fourmi: analyser les prises en charge médicales et repérer tout gaspillage de millilitres de sang. À cet effet, ils diffusent les bonnes pratiques identifiées au sein du personnel médical et soignant. «Cela implique de mieux réfléchir à la nécessité de chaque examen, mais aussi d’améliorer les processus de contrôle», souligne Guénolé Addor.

«Chaque année au CHUV, environ 250 poches de sang ne peuvent être utilisées. Il peut s’agir d’une erreur dans le respect de la chaîne du froid, de poches ouvertes et finalement non transfusées ou encore de produits endommagés. Ce n’est pas tolérable, surtout lorsqu’on sait qu’il est difficile de recruter des donneurs.»

Une commission de transfusion a donc été formée afin de faire passer les messages en lien avec les changements associés au PBM. «Les recommandations internationales, soutenues par l’OMS, fixent de nouveaux seuils transfusionnels plus restrictifs pour les globules rouges, les plaquettes et le plasma. Les examens préopératoires en lien avec les commandes de sang ont été revus et modifiés afin de limiter les actes inutiles. Les commandes de sang et leur administration sont en passe d’être informatisées, ce qui représente un apport majeur en termes de sécurité transfusionnelle et d’identitovigilance.» Chaque étape de la prise en charge est ainsi passée au crible. Avant l’opération: est-ce que toutes ces analyses sanguines sont nécessaires? Pendant l’opération: est-ce que le chirurgien intervient de façon à ce que le patient saigne le moins possible? Après l’opération: est-il vraiment indiqué de transfuser ce patient?

Dépister plutôt que transfuser

Selon la littérature scientifique qui traite de la gestion du sang, l’une des premières mesures à mettre en place en milieu hospitalier est le dépistage et le traitement de l’anémie préopératoire. En effet, il est prouvé qu’un patient souffrant d’anémie, une pathologie qui peut notamment être causée par une carence en fer, se remet moins bien d’une opération et qu’il est même parfois nécessaire de le transfuser. «C’est un facteur parmi d’autres. Une personne obèse, âgée et avec un diabète, se remettra aussi moins vite. Le problème avec l’anémie, c’est qu’elle ne se voit pas et que le patient ignore souvent qu’il souffre d’une telle affection alors qu’elle touche 30 à 40% de la population», regrette Guénolé Addor. Pour parer à cette situation, un projet pilote est en développement au CHUV et ce sont Claudia Lecoultre et Gerit Kulik qui sont chargées sa mise en œuvre:

«Nous allons cibler les patients qui vont subir une opération de la hanche ou du genou, car ce sont des interventions où le patient saigne en général beaucoup, et où une préparation en amont est possible du fait du moindre degré d’urgence. Le but est de diagnostiquer une éventuelle anémie, de la traiter et que le patient soit le plus en forme possible le jour J», explique Claudia Lecoultre.

«Nous voulons éviter une transfusion sanguine par la suite et faciliter la récupération du patient, donc son bien-être.» Pour que le traitement soit efficace, le diagnostic doit toutefois être posé en amont – environ deux mois avant l’intervention. «Ceci nécessite aussi une implication du côté des médecins généralistes qui doivent dépister l’anémie: nous allons donc sensibiliser la Société vaudoise de médecine à cette problématique.»

Si ce projet pilote, qui sera effectif au plus tard à l’été 2019, ne concerne pour l’instant qu’une frange limitée de patients, les gestes utiles quant à la gestion du sang au CHUV sont déjà bien en place. Depuis peu et grâce à la commission de transfusion, chaque service compte en effet un binôme infirmier-ère-médecin qui veille à l’application des bonnes pratiques en matière de PBM. «On a parfois tendance à penser que la gestion du sang n’est utile qu’aux services effectuant des opérations, mais les expériences menées à Zurich et à l’étranger montrent que le PBM est efficace de la néonatologie à la gériatrie. Des efforts peuvent donc être entrepris dans tous les secteurs», s’enthousiasme Claudia Lecoultre.



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MÉDECINE TRANSFUSIONNELLE

Le jeudi 14 novembre de 14h à 18h à l'auditoire Mathias Mayor, le Prof. Jean-Blaise Wasserfallen, vice-directeur médical du CHUV, et le Dr Guénolé Addor, responsable de l'implémentation du programme Patient Blood Management, participeront au Symposium de médecine transfusionnelle organisé par Transfusion interrégionale CRS et le CHUV.