Innovation
Texte: Clément Bürge
Photo: ETA

Le coeur qui fait tic-tac

Un chercheur suisse développe un pacemaker sans batterie qui se recharge comme une montre automatique

Le mouton alpin de 65 kg gisait inerte, anesthésié, sur la table d’opération. Les chercheurs l’ont déplacé sur son côté droit. Puis, un chirurgien a délicatement incisé sa paroi thoracique, et a attaché un petit appareil rond de couleur dorée contre le cœur battant de l’animal.

Adrian Zurbuchen, un jeune homme brun aux allures de premier de classe, assistait anxieusement à l’opération. Il s’agissait du premier essai in vivo du prototype qu’il venaitde mettre au point. Ce chercheur de l’Université de Berne cherchait à créer un pacemaker sans batterie qui se recharge grâce à un mécanisme inspiré de celui d’une montre automatique. L’engin emmagasinerait l’énergie générée par les battements du cœur pour recharger le pacemaker. Une heure plus tard, Adrian Zurbuchen était soulagé: son expérience était un succès. L’activité cardiaque du mouton avait permis de générer un flux électrique constant de 16 microwatts, une puissance suffisante pour alimenter un pacemaker basique.

Depuis ce premier test réalisé en avril 2010, Adrian Zurbuchen, 34 ans, a multiplié les essais et développé un prototype plus sophistiqué. «Nous avons essayé le système sur des cochons, explique-t-il. Nous cherchons désormais une entreprise qui puisse financer notre recherche et développer le produit pour une application commerciale d’ici

Depuis ce premier test réalisé en avril 2010, Adrian Zurbuchen, 34 ans, a multiplié les essais et développé un prototype plus sophistiqué.

deux à trois ans.» Son appareil ressemble à une montre nue, sans cadran, habillage ou bracelet, mais munie de câbles fins. Le système présente l’avantage de durer plus longtemps que les modèles traditionnels. «La durée de vie de la batterie d’un pacemaker est d’environ six à douze ans. Un mécanisme horloger helvétique peut durer vingt ans sans révision.»

En modifiant le dispositif, le chercheur pense même qu’il pourrait fonctionner pendant trente ou quarante ans. «Notre système serait plus simple qu’une montre, car il n’aurait pas besoin d’être plaisant esthétiquement ou de donner l’heure.»

Selon Martin Fromer, cardiologue spécialiste des pacemakers au CHUV, l’innovation serait particulièrement utile pour les patients atteints de troubles cardiaques à un jeune âge. «Lorsqu’un enfant de 12 ans contracte une maladie du cœur, nous cherchons à remplacer son pacemaker le plus rarement possible, explique l’expert. Ces opérations sont assez lourdes.»

L’objet d’Adrian Zurbuchen permettrait également de réduire

Cette invention souligne le potentiel du savoir-faire horloger dans le monde médical.

le poids et la taille des pacemakers. «La batterie est souvent ce qui prend le plus de place dans l’appareil.» Autre avantage: l’engin serait posé directement sur le cœur du patient, ce qui permettrait de se débarrasser des câbles qui lient le pacemaker aux muscles cardiaques, augmentant ainsi sa fiabilité.

Mais la route du chercheur n’est pas sans obstacles: «Une montre automatique s’attache au poignet et se recharge grâce aux mouvements de ce dernier, qui sont différents de ceux du cœur. Nous cherchons à développer un système qui exploite au mieux les battements cardiaques. Nous analysons depuis des années ces mouvements pour créer le meilleur mécanisme d’absorption.» De plus, les battements du cœur malade ne sont pas forcément réguliers: «L’irrégularité de la fréquence cardiaque pourrait empêcher le rechargement de l’appareil.»

Cette invention souligne le potentiel du savoir-faire horloger dans le monde médical. «Les deux domaines se ressemblent beaucoup, constate Simon Henein, titulaire de la chaire Patek Philippe en conception micromécanique et horlogère à l’EPFL. Tant les chirurgiens que les horlogers travaillent à une très petite échelle et se doivent d’être très précis. De plus, les deux domaines évoluent dans le même tissu économique: nous disposons des mêmes sous-traitants et utilisons les mêmes matériaux.»

Luc Tissot, ancien président du groupe du même nom, fait partie des horlogers qui ont très rapidement saisi l’étendue de ce potentiel. En 1978 déjà, l’horloger exploitait le savoir-faire de ses employés dans son usine du Locle afin de produire des pacemakers en collaboration avec le géant pharmaceutique Roche. «Nous devions travailler avec différents métaux et à différentes températures, les contraintes techniques étaient nombreuses et la construction d’un pacemaker se doit d’être très rigoureuse», se souvient Luc Tissot. Le produit issu de cette collaboration a depuis été racheté par la société suisse Intermedics.

Plus récemment, Luc Tissot a créé une nouvelle start-up: Tissot Medical Research, qui a développé une lentille qui mesure la pression intra-oculaire afin de détecter les premiers signes d’un glaucome. «Comme dans l’horlogerie, il s’agit d’un minuscule objet. Nous avons placé un capteur sur une lentille qui mesure la pression de l’œil à chaque fois qu’un patient ferme sa paupière.» L’outil devrait être commercialisé d’ici à deux ans.

Malgré ces quelques exemples de synergie entre l’horlogerie et la médecine, ces cas restent trop rares. «La conception d’outils médicaux est régulée par des normes très strictes, que le monde horloger ne connaît pas, explique Luc Tissot. Il est très compliqué, même impossible, de développer un produit sans d’abord développer un partenariat avec une firme médicale.»

Mais pour Charles Baur, chargée de la microtechnique médicale à la chaire Patek Philippe de l’EPFL, horlogerie et médecine vont prochainement se côtoyer comme jamais auparavant: «La montre connectée a un énorme potentiel en médecine, dit-il. Un chirurgien pourrait par exemple consulter des données sur le patient au milieu d’une opération simplement en regardant son poignet, donc sans détourner son regard du malade. Cela serait fantastique.»



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Comment ça marche?

1.Les battements du cœur mettent en mouvement la masse oscillante, qui commence à tourner.

2.Un rectificateur mécanique convertit ces mouvements
en une rotation qui tourne dans une seule direction.

3.Cette rotation remonte un ressort mécanique.

4.Une fois que le ressort est entièrement remonté, il se déroule et recharge un micro-générateur électrique.

5.Le générateur recharge un accumulateur qui permet de stocker l’électricité générée, et rend la production d’énergie constante.

6.L’accumulateur transmet ensuite son énergie à un circuit électrique, qui alimente le moteur du pacemaker.

Des outils pour la chirurgie et l’horlogerie

La chaire Patek Philippe en conception micromécanique et horlogère à l’EPFL travaille en collaboration avec la firme de mensuration Sensoptic SA pour développer de nouveaux outils chirurgicaux utiles tant aux horlogers qu’aux médecins. «Les horlogers, tout comme les médecins, travaillent à une échelle si petite qu’ils ne sentent plus les surfaces sur lesquelles ils appuient, explique Charles Baur. Nous développons des outils chirurgicaux qui permettraient par exemple de mesurer la pression exercée par un chirurgien sur l’œil d’un patient lors d’une opération de la cornée.»