Décryptage
Texte: Blandine Guignier

L’acné n’est pas une fatalité

Environ un jeune sur cinq doit composer avec une acné modérée à sévère durant sa jeunesse. Cette maladie peut être combattue avec des traitements toujours plus ciblés.

« Good skin », « luminous », « bold glamour » : ces filtres aux noms prometteurs se multiplient sur les réseaux sociaux. Appliqués sur des visages pris en photo ou filmés, ils donnent à voir des peaux complètement lisses, sans aucune marque, ni tâche. L’aspect et le teint quasi irréels des influenceurs sur la plateforme TikTok, utilisée par 34% des moins de 18 ans en Suisse, tranchent avec la réalité que vivent les jeunes au quotidien. Ils sont en effet 75 à 90% à être touchés, à des degrés divers, par une maladie inflammatoire de la peau : l’acné vulgaire. On estime qu’environ 20% d’entre eux souffrent même d’une forme modérée à sévère ; et que 1% des filles et 3% des garçons sont frappés par des formes plus graves.

« Quand on a de l’acné, on souffre souvent d’une importante baisse de l’estime de soi, qui peut influencer une dépression latente ou sous-jacente », remarque le professeur Olivier Gaide, médecin-chef au Service de dermatologie et vénéréologie du CHUV. Une très large étude publiée en 2018 dans la revue The British Journal of Dermatology a montré que le risque de dépression grave était 63% plus élevé chez les individus souffrant d’acné que chez les autres. Ce lien était surtout présent chez les patientes diagnostiquées depuis moins d’une année, puis diminuait avec le temps. « Il est important que les jeunes atteints de formes modérées à sévères, soient accompagnés dans cette maladie, rappelle le professeur. Ce n’est pas une fatalité. On peut traiter l’acné de manière efficace et avec des moyens thérapeutiques désormais bien connus. »

Une maladie généralement transitoire

L’acné démarre le plus souvent à la puberté, chez les jeunes entre 12 et 18 ans, et se prolonge rarement au-delà de la vingtaine. Les bouleversements hormonaux à cette période, ainsi que certaines prédispositions héréditaires, encouragent une plus grande production de sébum, un film de graisse sécrété par des glandes de la peau dites « sébacées ». Théoriquement, le sébum est censé remonter le long du follicule pileux via un petit canal, puis sortir du pore jusqu’à la surface de la peau. Toutefois, en cas de sécrétion de sébum trop importante ou trop épaisse, et de la multiplication de cellules (dite « hyperkératinisation »), ce conduit peut s’engorger et faire apparaître un point noir (comédon ouvert) ou un point blanc (fermé) sur le visage. Le dos et le haut du torse peuvent aussi être concernés.

Les conditions sont alors réunies pour que survienne une infection bactérienne. Sur la peau, la bactérie Cutibacterium acnes, présente normalement en toute petite quantité, se développe et engendre des lésions inflammatoires, du petit bouton rouge (formes modérés) aux kystes importants (formes sévères). « Le but des traitements sera alors de cibler cette bactérie, de supprimer l’inflammation et d’éviter que des cicatrices, se forment », relève Olivier Gaide.

Des traitements à la réputation sulfureuse

Dans la lutte contre la bactérie Cutibacterium acnes et les inflammations qu’elle cause, une famille de molécules s’avère quasi mira-culeuse : les rétinoïdes. « Elle est aujourd’hui à la base de la plupart des traitements contre l’acné, souligne le professeur du CHUV. Remboursée par l’assurance maladie, elle est généralement administrée localement. » Dans les cas d’acnés sévères, ces molécules sont ingérées et passent dans le système sanguin. L’antiseptique peroxyde de benzoyle peut lui aussi être utilisé sur la peau grâce à ses effets antimicrobien, antiséborrhéique et comédolytique et cela, dès les formes modérées. Le produit permet donc de freiner le regraissage de la peau et contribue à éliminer les points noirs. Laurence Feldmeyer, médecin adjointe à Hôpital de l’île à Berne, recourt à ce type de traitements. La dermatologue a participé en 2020 à l’élaboration des lignes directrices sur l’acné de Derma Swiss, qui précise que le recours à des antibiotiques doit rester limité, « pour ne pas favoriser la résistance aux antibiotiques », mais ne peut être évité dans certains cas.

« La famille des rétinoïdes a un effet quasi magique sur l’acné, précise Olivier Gaide. Elle souffre malheureusement d’une réputation sulfureuse. Deux polémiques expliquent ce phénomène. D’une part, l’effet tératogène des médicaments, soit pouvant engendrer des malformations congénitales. D’autre part, ces produits ont été dénoncés comme induisant des états dépressifs. »
Le médecin-chef se veut toutefois rassurant : « Au début de leur commercialisation, ces produits ont été prescrits dans des doses importantes. Aujourd’hui, cela se fait en plus faible quantité et de façon beaucoup plus ciblée selon l’état du patient. Depuis une dizaine d’années, le corps médical a une bien meilleure compréhension des mécanismes de l’acné. » À titre d’exemple, une étude française de 2020 a montré les effets positifs de la protéine GATA6, dont l’expression peut être augmentée par les rétinoïdes. Dans les colonnes du quotidien Le Temps, Bénédicte Oulès, chercheuse au laboratoire de biologie cutanée de l’Institut Cochin à Paris et coauteure de l’étude, explique que la protéine permet de prévenir l’hyperkératinisation responsable de la formation du comédon, de limiter la production de lipides par les glandes sébacées et qu’elle présente une action anti-inflammatoire.

« L’effet tératogène des rétinoïdes est désormais pris au sérieux dans les consultations, affirme Olivier Gaide. Les désirs de grossesse et la prise d’un contraceptif y sont discutés de manière systématique. Concernant l’effet dépressif, des recherches récentes ont montré qu’on peut le consi-dérer comme nul. Les risques de dépression liés à la maladie elle-même chez des jeunes atteints d’une acné sévère non traitée sont beaucoup plus élevés que les effets secondaires de cette classe de médicaments. »

Laurence Feldmeyer dit faire preuve de précaution, en restant attentive à tout signe dépressif possible. «Toutefois, c’est, dans la majorité des cas, l’inverse qui se produit : les jeunes se sentent beaucoup mieux dans leur peau après un traitement par rétinoïdes efficace contre leur acné qu’auparavant. »

Bilan hormonal

Chez les jeunes femmes, un bilan hormonal peut être réalisé avec le médecin, car un excès d’androgènes peut encourager l’apparition de l’acné. « Il convient alors d’en rechercher la cause avec un gynécologue pour exclure, par exemple, le syndrome des ovaires polykystiques », explique Olivier Gaide. La prise de la pilule doit aussi être discutée avec les femmes au profil acnéique. « Les pilules œstroprogestatives améliorent généralement l’acné, même si elles peuvent avoir des effets indésirables. »

Du côté des garçons, les dermatologues du CHUV, ainsi que le comité d’experts à l’origine des lignes directrices de Derma Swiss, dont a fait partie Laurence Feldmeyer, constatent un effet négatif de la prise excessive de compléments. « Le culte du corps chez les adolescents est plus développé qu’il y a dix ans, souligne Olivier Gaide. Une partie d’entre eux s’adonnent à la musculation et prend des extraits protéïques, voire des produits stéroïdiens s’apparentant à du dopage. Certains n’osent pas nous en parler. Or, ces produits agissent sur les hormones et peuvent aggraver ou même faire survenir de l’acné. » Là aussi, les jeunes doivent réussir à déconstruire les représentations de corps d’hommes quasi irréalistes proposés par les réseaux sociaux, ainsi que dans les grandes productions hollywoodiennes. /

« À l’âge adulte, l’acné prend une dimension différente »

Lorsque des boutons sont revenus sur son front et son menton, Fanny, 28 ans, avoue en avoir fait une « fixette ». « J’avais l’impression que tout le monde ne voyait que ça sur mon visage. » L’acné sous forme de kystes rouges et purulents qu’elle avait connue entre 13 et 14 ans avait certes été « difficile dans cette période ingrate de la vie », mais la plupart de ses camarades en souffraient également à l’école. « À l’âge adulte, l’acné prend une dimension différente, car elle est beaucoup moins courante dans l’entourage. Et, comme cela paraît plus anormal que durant l’adolescence, tout le monde y va de son conseil pour s’en débarrasser, nous renvoyant toujours à notre état. »

La jeune femme s’est tournée vers une spécialiste.
« La dermatologue a assez vite fait le lien avec l’arrêt de la pilule contraceptive survenu un peu moins d’une année auparavant. Pour des raisons hormonales, le moyen contraceptif avait permis de faire disparaître mon acné pendant plus de dix ans. Mais comme je ne voulais pas reprendre la pilule, nous avons réussi à remédier au problème grâce à un traitement assez léger, soit un médicament oral durant trois mois et des crèmes en application quotidienne de manière continue. J’ai seulement connu une rechute l’été dernier, certainement à cause du soleil. »

Supprimer les causes du problème

La pérennisation d’une acné juvénile, comme dans le cas de Fanny, est une des formes les plus courantes de la maladie, surtout dans la vingtaine, relève Olivier Gaide du Service de dermatologie du CHUV. « Des personnes, qui avaient connu une acné relativement modérée à l’adolescence et n’avaient pas forcément eu besoin de consulter, se retrouvent confrontées à une accentuation de la maladie et se tournent alors vers un médecin. Ce dernier peut prescrire des traitements semblables à ceux d’une acné survenant à la puberté (lire l’article principal à ce sujet), avec les mêmes résultats positifs que pour les patients plus jeunes. »

Un bouleversement hormonal peut aussi expliquer une acné à l’âge adulte. Il s’agira alors, autant que possible et en discussion avec les patientes, de supprimer la raison de ce changement. « Nous conseillons par exemple d’arrêter la prise d’anabolisants que certains hommes prennent pour augmenter leur masse musculaire. Chez les femmes, une pilule pro-androgène peut être en cause et il conviendra de la changer. »
Le professeur du CHUV cite un autre cas spécifique, celui de la prise d’hormones dans le cadre d’une transition de genre. « Les patients recherchent alors une plus grande virilisation, avec une diminution des seins, une augmentation des poils et des muscles.
Mais, malheureusement, un des pendants négatifs est que les hommes, en raison des androgènes, souffrent plus d’acné que les femmes. Nous essayons alors de les accompagner le mieux possible, en révisant notamment le dosage des hormones. »

Des médicaments non hormonaux, tels que des antituberculeux ou des corticostéroïdes, peuvent également induire des lésions pouvant faire penser à de l’acné.

Enfin, un phénomène appelé « l’acné de la femme adulte » peut survenir chez des patientes qui n’avaient jamais souffert de la maladie auparavant. « Il s’agit de femmes généralement très minces, avec peu d’œstrogènes dans le corps, hormones qui sont majoritairement stockées dans les graisses. Sous l’effet du stress, le niveau des fameux androgènes va à l’inverse augmenter. Et ce déséquilibre favorisera l’apparition de lésions sur le menton par exemple. » Dans ce cas de figure, le Service de dermatologie proposera d’essayer autant que possible de diminuer le stress d’une part, et un traitement à base de rétinoïdes d’autre part, « qui s’avérera souvent le seul médicament efficace ».



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Ne pas toucher

La dermatologue Laurence Feldmeyer conseille de ne pas manipuler ses comédons ou boutons. « À moins de procéder à un peeling fait sur recommandation de son médecin, dans un cabinet esthétique professionnel, mieux vaut éviter de presser ou gratter les lésions, afin d’empêcher surinfections
et cicatrices. »

Quand consulter

Une pédiatre ou une généraliste peut prescrire des traitements locaux dans un premier temps. Derma Swiss juge toutefois que les personnes atteintes de formes sévères devaient être référées à une spécialiste, tout comme celles dont
la réponse aux traitements de base est insuffisante
et celles connaissant
des rechutes régulières.