Décryptage
Texte: ERIK FREUDENREICH

Cancer du côlon, un mal qui frappe toujours plus tôt

Lié au mode de vie sédentaire, le cancer colorectal est de plus en plus fréquent chez les patients de moins de 50 ans. D’où l’importance de l’examen coloscopique, qui réduit de 60% le risque de décès.

A l’écran, Chadwick Boseman a connu la consécration en incarnant le super-héros de Black Panther dans plusieurs films à grand spectacle. L’acteur américain a cependant mené un combat autrement plus difficile contre le cancer du côlon alors qu’il gravissait les marches d’Hollywood. Diagnostiqué en 2016 au stade le plus avancé de la maladie, il n’en a jamais parlé publiquement. Raison pour laquelle l’annonce de son décès le 28 août 2020 a provoqué un nombre record de réactions sur les réseaux sociaux.

Sa disparition prématurée, à l’âge de 43 ans, a également fait réagir la Colon Cancer Foundation. «La mort de Chadwick Boseman démontre tragiquement l’augmentation de la proportion de jeunes de 20 à 49 ans chez qui on diagnostique un cancer colorectal», a souligné l’institution américaine dans un communiqué.

L’incidence de cette affection a progressé de 2,2% par an chez les patients américains âgés de moins de 50 ans, selon une étude de l’American Cancer Society portant sur les années 2011 à 2016. Dans le même temps, la tendance inverse a été observée chez les personnes de 65 ans et plus (-3% par an). Un recul qui s’explique en grande partie par le nombre de personnes qui se soumettent aux tests de dépistage, dont le recours est recommandé une fois par décennie dès l’âge de 50 ans.

La même étude indique qu’aux États-Unis, 12% des cas de cancer colorectal sont désormais diagnostiqués chez des personnes de moins de 50 ans, soit environ 18 000 cas pour la seule année 2020. Le phénomène n’est pas limité au continent américain.

« Même si cela demeure rare, nous observons toujours davantage de cas de cancers digestifs chez des patients plus jeunes, explique Anna Dorothea Wagner, responsable de la consultation spécialisée en oncologie gastroentérologique au CHUV. Je me rappelle par exemple d’une réunion européenne récente au cours de laquelle plusieurs experts ont rapporté des cas de patientes enceintes.»

LES MÉFAITS DE LA SÉDENTARITÉ

En Suisse, le cancer du côlon représente environ 10 à 11% des cas de cancers. Il est le troisième plus fréquent tant chez l’homme que chez la femme. Environ 5 personnes sur 100 vont développer ce type d’affection avant l’âge de 80 ans. Chaque année, cela représente 4000 nouveaux cas, ainsi que 1600 décès.

Le premier facteur de risque pour le cancer colorectal demeure l’âge, suivi par des questions d’ordre génétique ou environnemental. «Nous savons qu’environ 5 à 7% des cancers du côlon ont des causes héréditaires, indique Anna Dorothea Wagner. L’augmentation du nombre de patients dits à «déclenchement précoce» est donc à chercher du côté de causes liées à leur mode de vie et il est essentiel de mieux les identifier.»

Sédentarité, obésité, tabagisme mais aussi consommation excessive d’alcool et de viande rouge et transformée comptent parmi les principaux facteurs de risque.

Les patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin comme la rectocolite hémorragique ou la maladie de Crohn sont aussi plus susceptibles de développer ce type de cancer.

Des recherches menées par l’American Institute for Cancer Research montrent qu’une adaptation de son alimentation, la conservation d’un poids sain ainsi que la pratique régulière d’une activité physique sont autant de facteurs qui permettent de diminuer le risque de développer cette affection.

SENSIBILISER LES MÉDECINS DE FAMILLE

La doctoresse Anna Dorothea Wagner souligne le rôle primordial des médecins de famille dans cette lutte. «Le problème que nous remarquons chez les jeunes patients réside dans le délai trop important entre l’apparition des premiers symptômes et le dia- gnostic. C’est pourquoi il est très important de sensibiliser les médecins traitants à proposer un examen dès la première observation de symptômes typiques: changements dans le rythme intestinal, par exemple des constipations inhabituelles, des douleurs abdominales ou la présence de sang dans les selles.»

Le cancer du côlon survient à partir de petites lésions au niveau des muqueuses, les polypes. Certains d’entre eux peuvent se développer en cancer en fonction de leur taille et de leurs caractéristiques. Lorsqu’un cancer se déclare dans une de ces excroissances, il peut se propager à travers les parois du colon ou du rectum.

La présence de ces tissus anormaux se manifeste dans un premier temps à travers de minuscules quantités de sang dans les selles, et que l’on ne peut pas observer à l’œil nu.

Lorsqu’ils sont détectés suffisamment tôt, les polypes problématiques peuvent être retirés grâce à une ablation endoscopique ou chirurgicale. Dans le cas contraire, ils peuvent se transformer en une tumeur maligne. Celle-ci se développe d’abord dans la paroi de l’intestin, avant que ses cellules migrent éventuellement dans d’autres parties de l’organisme.

«Ce stade plus avancé de la maladie nécessite alors une prise en charge à l’aide de la chimiothérapie, souvent en combinaison avec la chirurgie ou la radiothérapie.»

CAMPAGNES DE DÉPISTAGE

Le canton de Vaud s’est montré précurseur en la matière. Il est le premier canton suisse à avoir instauré un programme de dépistage. Mis sur pied en 2015, il invite tous les résidents vaudois âgés de 50 à 59 ans qui ne présentent pas de risque élevé de cancer du côlon à se soumettre soit à une coloscopie, soit à un test immuno- chimique de recherche de sang occulte dans les selles, aussi appelé test FIT. Ces tests sont disponibles dans les pharmacies participant aux programmes cantonaux, sur recommandation du médecin traitant.

Parfois redoutée en raison de son exploration d’une partie intime du corps, la coloscopie demeure l’examen le plus précis pour poser un diagnostic. Réalisée en une dizaine de minutes, sous anesthésie générale, elle consiste en un examen visuel du côlon à l’aide d’une sonde insérée par l’anus. «L’usage de cette méthode de détection réduit actuellement de 60% le risque de décès d’un cancer colorectal, indique Sébastien Godat, médecin adjoint au sein du Service de gastroentérologie du CHUV et responsable du secteur d’endoscopie digestive. La coloscopie présente aussi un avantage thérapeutique, puisqu’elle permet de traiter immédiatement les lésions précancéreuses, des cancers superficiels ou de réaliser un prélèvement de tissu.»

VERS UNE DÉTECTION PLUS PRÉCOCE

La méthode a bénéficié de nombreux progrès en termes
techniques. «Il existe désormais des coloscopes équipés d’un système d’analyse des images à l’aide de l’intelligence artificielle. Cette dernière permet de déceler en direct la présence de lésions suspectes et aide à identifier le risque.» Plusieurs approches innovantes ont été développées ces dernières années par les médecins et chercheurs du CHUV, notamment en matière de techniques mini-invasives. L’expert cite la dissection sous-muqueuse (ESD) et la technique FTRD («full thickness resection device»). «C’est une approche qui permet de retirer certains polypes situés au-delà de la paroi muqueuse, avant de procéder à la suture de la plaie.»

Grâce aux avancées réalisées dans les domaines de la chirurgie et des chimiothérapies, le taux global de survie a fortement progressé ces dernières années, et s’établit à 60% à cinq ans. Une évolution encourageante qui devrait se poursuivre grâce à de nouveaux progrès en matière de traitements, tels que l’immunothérapie, mais aussi à la mise au point de méthodes de dépistage encore plus précoces.

Car lorsque la maladie est détectée à son premier stade, les chances de survie à cinq ans des patients sont de 90%.

L’entreprise américaine Freenome, spécialiste des biomarqueurs, a ainsi publié il y a quelques semaines des résultats prometteurs concernant un nouveau type de test sanguin. Il présente une sensibilité presque deux fois plus élevée pour la détection des polypes adénomateux (voir encadré) que les tests de selles FIT existant sur le marché. La société californienne vient d’entamer le processus réglementaire pour faire approuver le test par les autorités sanitaires. /




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Chadwick Boseman

L’acteur américain Chadwick Boseman, héros du film « Black Panther » sorti en 2018, est décédé en 2020 après quatre ans de combat contre le cancer du côlon.

CONSEILS DE PRÉVENTION

L’activité physique, un poids normal et une alimentation riche en fibres (légumes, fruits) diminuent le risque de cancer colorectal. Certaines études ont aussi mis en évidence un rôle bénéfique du calcium et de l’aspirine.

LE CÔLON EN QUESTION

Le côlon mesure environ 1,5 m de long (pour 4 cm de diamètre) et constitue l’avant-dernière partie du système digestif. Il a pour fonction d’absorber l’eau et certaines vitamines, tout en transportant les selles vers le rectum, où elles sont retenues jusqu’à évacuation.

POLYPE

Il s’agit d’une excroissance anormale du tissu muqueux. Il en existe de différents types au niveau du côlon : hyperplasiques, hamartomateux, inflammatoires et adénomateux. Ces derniers sont susceptibles de développer des cellules cancéreuses.

Dépistage

Il est recommandé d’effectuer un test de dépistage tous les dix ans dès l’âge de 50 ans, et plus tôt en cas d’antécédents familiaux. Le plus précis consiste à examiner le côlon à l’aide d’un endoscope. Il peut être précédé d’une coloscopie virtuelle, qui établit une visualisation en 3D du côlon avec un scanner