Décryptage
Texte: CAROLE EXTERMANN
Photo: canva

Développement génital : le droit au choix

À la naissance, certains corps échappent à la distinction entre garçon et fille. L’opération infantile a longtemps été une solution. Une pratique aujourd’hui remise en question.

« Les opérations d’assignation sexuelle doivent être considérées comme des mutilations. »

Ce sont les mots de l’association InterAction dans une lettre adressée au Conseil d’État genevois, en novembre dernier. Le texte met en lumière un sujet qui demeure tabou. « Il arrive que, lors de certaines naissances, attribuer un sexe à l’enfant soit impossible », explique Oliver Sanchez, médecin spécialisé́ en urologie pédiatrique au CHUV. On parle alors d’intersexuation. Jusque dans les années 1990 encore, en Suisse, les opérations d’assignation sexuelle étaient pratiquées systématiquement sur les enfants en bas âge, afin de rendre leurs organes génitaux conformes. Le plus souvent, c’étaient des organes féminins qui étaient réalisés, car l’opération était plus simple que celle de la reconstitution d’un pénis. « Aujourd’hui, ce type d’interventions d’assignation n’est pas effectué, précise Oliver Sanchez. Mais celles visant à corriger des variations du développement génital persistent. »

Selon l’OMS, ces variations concernent 1,7% des naissances en Suisse, dont certaines formes plus subtiles sont décelées plus tard, à l’adolescence ou à l’âge adulte.

Pour Audrey Aegerter, cofondatrice d’InterAction, ces gestes sont inadmissibles : « C’est une question de droits fondamentaux. L’enfant n’est pas malade, il n’a pas à être opéré́ sans son accord. » Hormis les interventions liées à l’assignation sexuelle, une opération souvent pratiquée est celle visant à corriger un hypospadias – une variation qui touche l’organe sexuel externe des garçons. L’orifice urinaire se situe dans ces cas-là sur le côté et non à l’extrémité́ du pénis. En Suisse, cette particularité́ concerne un garçon sur 300.
Cette intervention, davantage pratique que nécessaire, permet à l’enfant d’uriner plus facilement debout et de faciliter les relations sexuelles à l’âge adulte. « Dans la pratique, il y a de multiples formes d’hypospadias : la plus sévère est prise en charge par une équipe multidisciplinaire, et, en cas de difficulté́ d’assignation du sexe, l’intervention est repoussée jusqu’à l’âge de consentement de l’enfant, explique Oliver Sanchez. Pour les plus bénignes, j’explique aux parents qu’il n’y a pas de danger. Mais les protocoles internationaux recommandent une chirurgie entre 12 et 18 mois. Je propose toujours aux parents de prendre leur temps avant de se décider, car il n’y a pas d’urgence. »

Participer à la décision

Pour Audrey Aegerter, qui a elle-même été opérée enfant, et sans son consentement, aucune intervention génitale ne devrait être pratiquée en bas âge : « Dans la plupart des cas, une seule opération ne suffit pas. Un enfant présentant une variation du développement génital peut parfois être opéré́ une dizaine de fois durant son enfance. » Un point également mis en avant par les Hôpitaux universitaires de Genève sur leur site, qui mentionne, au sujet de l’hypospadias, que dans 10% à 20% des cas, une seule intervention ne suffit pas. Et pour les cas sévères, le risque de réopération atteint même 50%.

En Suisse, ce type d’opérations n’est actuellement pas interdit. Pourtant, la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine déconseille tout traitement chez l’enfant présentant une variation du développement génital et met en garde contre les attentes d’une telle intervention : « Un sexe résultant d’une opération n’est pas comparable avec un sexe naturellement donné. » La commission recommande ainsi d’attendre que l’enfant soit capable de discernement et puisse participer à la décision avant de pratiquer cette opération irréversible.

« Aucune opération en bas âge n’est nécessaire et elle n’est jamais en premier plan au CHUV », concède Oliver Sanchez : « La première étape est de rassurer les parents. S’il y a un doute sur l’appartenance sexuelle de l’enfant, l’équipe prend soin de ne pas utiliser le terme fille ou garçon et d’insister sur le fait que l’enfant est en bonne santé. »
Une équipe pluridisciplinaire accompagne ensuite les parents, afin de détailler la situation.
« Pour les patients qui présentent des déséquilibres hormonaux majeurs, qui peuvent être dangereux, notre équipe met en place un traitement médical adéquat, avec une prise en charge psycho-sociale complète des familles. »

Pour les membres d’InterAction, cette mesure n’est pas suffisante. « Il s’agit avant tout d’une question sociale, que la médecine rend pathologique», précise Audrey Aegerter. Dans la lettre adressée au Conseil d’État, l’association
déplore le manque de collaboration du milieu médical avec les associations, malgré leur sollicitation. « Il faudrait faire en sorte que les parents soient mis en contact avec des personnes et d’autres parents concernés par cette situation. Cela permettrait de diminuer
le stress qui peut peser sur les familles. » Oliver Sanchez nuance ce propos : « Nous parlons des groupes de patients aux familles. Par contre, il n’y a pas de groupe d’hommes concernés par des hypospadias peu sévères, alors que cette variation est fréquente. » /



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