Décryptage
Texte: Rachel Perret
Photo: Sebastian Kaulitzki / Science Photo Library

Quand la thyroïde dysfonctionne

Les maladies et les cancers de la thyroïde augmentent en Suisse comme ailleurs dans le monde. Que se passe-t-il avec cette glande, qui se dérègle au lieu de réguler notre corps et nos humeurs?

Vous êtes fatigué? Nerveux? Vous avez pris du poids ou au contraire avez fondu? Vous manquez peut-être de quelques bonnes nuits de sommeil ou alors souffrez d’un dysfonctionnement de la thyroïde. Selon Gerasimos Sykiotis, endocrinologue au CHUV, un trouble thyroïdien peut facilement passer inaperçu. «Pris un à un, les symptômes d’un dérèglement de la thyroïde sont difficiles à reconnaître, car ils peuvent être causés par quantité d’autres pathologies et n’incitent pas forcément à aller consulter. C’est leur constellation qui doit alerter.» Ainsi, des palpitations, associées à des tremblements, un état de nervosité ou une perte de poids peuvent être liés à une hyper-thyroïdie (production excessive d’hormones thyroïdiennes). La fatigue, la dépression et la prise de poids sont elles des signaux communs de l’hypothyroïdie (production hormonale insuffisante). Deux maladies qui semblent se répandre comme une épidémie. Au CHUV, 80% des consultations en endocrinologie concernent des troubles de la thyroïde.

Les causes d’un dérèglement de cette glande sont nombreuses.

«Chez les femmes, les raisons les plus fréquentes sont liées à des réactions d’auto-immunité. Le système immunitaire ne reconnaît plus la thyroïde comme faisant partie du corps et l’attaque», détaille Gerasimos Sykiotis.

«Certains médicaments, utilisés par exemple en immuno-thérapie, peuvent également avoir un impact sur la fonction thyroïdienne. Parmi les autres causes fréquentes, on relève aussi les carences en iode, oligo-élément nécessaire au bon fonctionnement de la thyroïde, ou encore le développement de tumeurs, ou nodules, qui viennent perturber son fonctionnement.»

DES CANCERS SURDIAGNOSTIQUÉS?

Or, en Suisse, les cas de tumeur de la thyroïde ont augmenté, en moins de vingt ans, de 40% chez les hommes et de 60% chez les femmes, selon un rapport en 2015 de l’Office fédéral de la statistique et de l’Institut national sur l’épidémiologie et l’enregistrement du cancer. Comment expliquer une telle hausse? «Cette augmentation est spectaculaire partout dans le monde, remarque Gerasimos Sykiotis. Mais il faut noter que la mortalité des cancers de la thyroïde, elle, n’a pas augmenté. Nous n’avons pas plus de patients qui décèdent et les modalités de traitement n’ont pas fondamentalement changé. Ce qui a évolué, en revanche, ce sont les techniques d’examen.»

En effet, la multiplication des investigations par imagerie, mais aussi la grande précision actuelle des techniques comme l’échographie, l’IRM et le CT-scan, permettent aujourd’hui de révéler à nos yeux des nodules de moins de 3 mm qui seraient passés totalement inaperçus auparavant. «Il s’agit en général d’examens radiologiques, effectués pour d’autres raisons et qui, par hasard, révèlent des irrégularités. On parle alors d’«incidentalomes». On diagnostique ainsi beaucoup de petits cancers, des microcarcinomes de moins d’un centimètre, dont la vaste majorité des cas n’a pas d’importance clinique.» La tendance actuelle consiste à adopter une attitude moins agressive envers ces petits nodules et de les surveiller plutôt que d’effectuer systématiquement une biopsie.

Gerasimos Sykiotis évoque une autre piste, encore à explorer. «Selon une étude épidémiologique menée aux États-Unis et récemment publiée dans la revue «JAMA», il pourrait y avoir un lien entre la croissance des cas de cancers thyroïdiens et l’exposition à certains facteurs environnementaux, tels que le tabagisme, l’obésité et les divers perturbateurs endocriniens comme les pesticides et le bisphenol A.» Deux processus simultanés semblent ainsi être à l’œuvre: d’une part, le surdiagnostic médical, et, d’autre part, l’évolution de notre environnement.

«La vaste majorité des maladies de la thyroïde peuvent être traitées de manière très efficace. Et si je devais choisir un cancer, c’est pour celui de la thyroïde que j’opterais!» rassure Gerasimos Sykiotis.

Bonne nouvelle également pour le régime des Suisses: consommer du poisson, des crustacés, des haricots verts, du soja, du lait, du fromage et des œufs, sources d’iode, c’est déjà soigner, de façon préventive, cette si précieuse glande. ⁄



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GERASIMOS SYKIOTIS

Endocrinologue au CHUV

THYROÏDE

Située dans le cou juste sous la pomme d’Adam, la glande thyroïde contrôle notre métabolisme de base. C’est elle, par exemple, qui régule la température du corps. Sous l’effet de la TSH (thyréostimuline) sécrétée par l’hypophyse, la thyroïde fabrique les hormones T4 (thyroxine) et T3 (triiodothyronine). Indispensables au bon développement du fœtus et de son cerveau, elles stimulent le métabolisme cellulaire et la croissance.

IODE

Les hormones thyroïdiennes sont produites à partir d’un élément naturel, l’iode, que la thyroïde capte dans notre alimentation. Ce micronutriment, très abondant dans l’eau de mer, s’accumule dans les algues, dans les poissons et dans les crustacés. Mais il y en a peu dans le sol des pays éloignés de la mer. En Suisse, on ajoute de l’iode dans le sel depuis 1922. Or, effet collatéral des campagnes sanitaires pour diminuer la consommation de sel, les carences en iode et leurs maux menacent à nouveau. Une étude de 2014 révélait que 2% des Suisses et 14% des Suissesses étaient concernés. Depuis, la Commission fédérale de l’alimentation demande aux salines suisses d’augmenter la teneur en iode de 20 à 25 milligrammes par kilo de sel.