Chronique

« Cela en vaut-il encore la peine ? »

ANJA PATTSCHULLInfirmière clinicienne spécialisée, Service de gériatrie et réadaptation gériatrique, CHUV

Infirmière en gériatrie, j’ai dû entendre cette question plusieurs centaines de fois. Et la prononcer aussi. Elle survient lorsqu’il n’est plus certain que les traitements administrés à l’hôpital apportent davantage auà la patiente qu’ils ne lui occasionnent de souffrance ou d’inconfort. Obligatoirement, quelqu’un la posera en premier. Peut-être un peu maladroitement, peut-être pas au bon moment.

Souvent, ce sera le début d’une longue série de discussions au sein de l’équipe interprofessionnelle.
Une infirmière préconise de dispenser uniquement des soins de confort. Selon elle, le cap de l’acharnement thérapeutique
est déjà franchi. Un autre soignant questionne la pertinence de prendre les paramètres vitaux, de mettre de l’oxygène. Ne devrait-on pas simplement accompagner et soulager les symptômes ?
Un soignant n’a pas voulu réveiller le ou la patiente car il pense qu’il est préférable de privilégier son repos à la prise du repas. Mais d’autres membres de l’équipe estiment qu’interrompre certains traitements serait trop brutal, que des investigations supplémentaires pourraient profiter au patient, ou que sa famille n’est pas prête à envisager la fin de soins à but curatif. De ces différents points de vue découleront des discussions éthiques, puis des décisions qui témoigneront de la capacité de l’ensemble des acteur.trices à adopter ou non une attitude cohérente et concertée.

C’est tout sauf simple. D’abord, parce qu’il n’existe pas d’instant « T » où l’on conclurait que les traitements et les soins dispensés pour maintenir ou améliorer la santé de la personne n’ont pas les effets escomptés. C’est un processus progressif, une situation changeante, avec des signes contradictoires.
Ensuite, parce que chaque professionnelle a comme grille de lecture les savoirs spécifiques de sa discipline et les compétences en lien avec son expérience. Par définition, chacune aura donc une vision différente.
Et s’il est pertinent de renoncer à une visée curative ou aux traitements invasifs lorsque l’espoir d’une guérison s’éloigne, le bon moment n’est pas le même pour tout le monde. Enfin, c’est à la lumière des besoins et souhaits de la patiente ou du patient lui-même que les décisions doivent être prises, avec elle, lui ou les membres de sa famille selon les circonstances.

Il n’y a pas de règle universelle permettant de dire ce qui est juste ou faux. Soigner est un art, qui se pratique en équipe. Et la meilleure des équipes est celle qui cultive le doute, qui accueille les points de vue dissonants, qui reconnaît le caractère unique de chaque situation et se montre capable de cheminer. Dans ce contexte, « cela en vaut-il encore la peine ? » est une saine question. /



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